Close

Le biais de la tache aveugle, ou l’art de se mettre le doigt dans l’œil

Léa Girardot / Le Monde

Retrouvez tous les épisodes de la série « Les intox du cortex » ici.

Vous venez de répondre à la question ci-dessus ? Testons maintenant l’état de vos connaissances sur le Covid-19 avec six petites questions, qui ont été soumises à 2 487 personnes, dont de nombreux soignants non spécialistes, au centre hospitalier Princesse-Grace, à Monaco, au printemps 2020, sur la base des connaissances et des réalités de l’époque.

Comment vous en êtes-vous sorti ? Si vous avez eu tout faux mais que vous avez prévenu que vous n’étiez pas connaisseur, considérez votre clairvoyance comme une petite victoire : ce qui intéressait les chercheurs monégasques, c’était justement l’évaluation de la lucidité des personnes sur leur propre niveau de connaissance. Le constat a été sans appel : « D’une manière générale, le niveau élevé de confiance en soi contrastait avec les mauvais résultats au test. » Plus les personnes s’informaient par la télévision et les réseaux sociaux, plus elles se croyaient (à tort) compétentes.

L’effet Dunning-Kruger, ou les mirages de l’ego

La crise du Covid-19 a mis en lumière l’effet Dunning-Kruger, ou effet de surconfiance. Ce biais cognitif, décrit en 1999, amène les personnes les moins qualifiées dans un domaine à surévaluer leurs connaissances.

Ainsi, parmi les défenseurs de l’hydroxychloroquine, combien ont réellement les compétences pour juger de son efficacité ? Idem des détracteurs du professeur Didier Raoult : combien avaient assez de connaissances en méthodologie scientifique pour percevoir les failles de ses études ?

L’effet Dunning-Kruger s’inscrit dans une famille plus large, celle des biais de supériorité liés à soi-même, autrement dit la faculté du cerveau, de l’ego, ou des deux, à se laisser croire que nous sommes meilleurs que les autres, même quand ce n’est pas le cas.

Ce phénomène prend de nombreuses formes. Citons par exemple le faux consensus, c’est-à-dire la conviction que nos opinions sont plus partagées qu’elles ne le sont en réalité ; ou son opposé, l’illusion de l’unicité, qui nous convainc que nous sommes plus atypiques que nous ne sommes vraiment ; ou le réalisme naïf, qui nous berce de l’illusion que nous serions plus objectifs que les autres.

C’est ce que le psychologue français Jean-Paul Codol appelait dès 1975 l’« effet PIP », abréviation de la locution latine primus inter pares (« premier parmi les pairs »), et que la psychologue néerlandaise Vera Hoorens a rebaptisé en 1993 « illusion de supériorité ».

Celle-ci s’exprime en bien des domaines, y compris dans les plus intimes. Par exemple, pensez-vous être un bon ou un mauvais amant ? Si vous vous estimez dans la moyenne supérieure, bienvenue dans l’effet PIP. Comme l’influent psychosociologue américain Leon Festinger le signalait dès la fin des années 1950, face à l’impossibilité de se situer sur une échelle objective, les humains tendent à se comparer aux autres.

Il vous reste 58.39% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

source

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 Comments
scroll to top