Le Conseil d’Etat a ordonné, mercredi 11 octobre, au ministère de l’intérieur de rendre effective l’obligation faite aux forces de l’ordre de porter leur matricule d’identification en intervention, le référentiel des identités et de l’organisation (RIO), et de le rendre plus visible. Le Conseil d’Etat a donné douze mois à Beauvau pour se conformer à sa décision.
« Le ministre de l’intérieur n’a pas pris les mesures propres à assurer l’effectivité du respect par les membres des forces de sécurité intérieure de l’exigence de port effectif et apparent de l’identifiant individuel », note la plus haute juridiction administrative dans un arrêt en demandant que la « lisibilité » du RIO soit « suffisante pour le public ».
Le RIO est composé de sept chiffres inscrits sur une minuscule barrette de 45 millimètres sur 12, scratchée sur la poitrine. Il devra être « agrandi afin qu’il soit suffisamment lisible, en particulier lorsque les forces de l’ordre interviennent lors de rassemblements ou d’attroupements », a précisé le Conseil d’Etat.
Il s’agit, pour la juridiction, « de favoriser des relations de confiance entre les forces de sécurité intérieure et la population et d’assurer, dans l’intérêt de tous, l’identification des agents ». Le Conseil d’Etat rappelle que « la réglementation en vigueur exige que les policiers et gendarmes portent, sauf cas particuliers justifiés par leurs missions, un numéro d’identification individuel visible sur leur tenue ».
Estimant que cette obligation est mal respectée dans la pratique, la Ligue des droits de l’homme (LDH), l’association Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), le Syndicat de la magistrature (SM) et le Syndicat des avocats de France (SAF) avaient saisi le Conseil d’Etat, à la suite du refus du ministre de l’intérieur de faire droit à leurs demandes de rendre plus lisible le numéro d’identification, et plus effectif son port.
« C’est une grande victoire judiciaire », s’est félicité auprès de l’Agence France-Presse l’avocat Patrice Spinosi, qui représentait les associations au Conseil d’Etat. « Le Conseil d’Etat tire les conséquences de l’absence systématique du port du RIO lors d’opérations de maintien de l’ordre, phénomène largement dénoncé et documenté par la LDH », a-t-il ajouté.
« Discrimination »
Depuis le 1er janvier 2014, les 150 000 policiers et les 87 000 gendarmes, même en civil (à quelques exceptions près, comme les équipes du RAID), sont tenus, lors des opérations de maintien de l’ordre, de porter le RIO. Dans les faits, nombre de représentants des forces de l’ordre s’abstiennent de le porter, voire le cachent pour rester anonymes. Par ailleurs, la barrette tient mal sur les brassards et est recouverte par les équipements lourds.
Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, s’en était ému en 2016 : « La dissimulation volontaire du numéro RIO, en contravention avec la règle, nourrit l’idée que certains redoutent d’être identifiés parce qu’ils agiraient de manière inappropriée. Ces pratiques, si elles existent, doivent être formellement proscrites. »
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Sur un autre dossier dont il avait été saisi, celui des contrôles au faciès, le Conseil d’Etat a reconnu que la pratique « existe » et constitue « une discrimination », mais il s’est déclaré incompétent. La plus haute juridiction administrative a ainsi estimé que les mesures demandées par six associations et ONG dénonçant des pratiques systémiques « visent en réalité à une redéfinition générale des choix de politique publique en matière de recours aux contrôles d’identité à des fins de répression de la délinquance et de prévention des troubles à l’ordre public qui ne relèvent pas des pouvoirs du juge administratif ».
Les associations, dont Amnesty international, Human Rights Watch et Open Society Justice Initiative, soutenaient dans cette première action de groupe contre les contrôles au faciès que la pratique est « inscrite profondément dans l’action policière au point que la discrimination qu’elle constitue est systémique ». Ces ONG réclamaient une série de mesures, allant de la modification du code de procédure pénale pour interdire la discrimination dans les contrôles d’identité à la délivrance d’un récépissé après chaque contrôle.
« Il ressort de l’instruction que la pratique de ce type de contrôles existe et ne se limite pas à des cas isolés. Si elle ne peut être considérée comme “systémique” ou “généralisée”, cette pratique constitue néanmoins une discrimination pour les personnes ayant eu à subir un contrôle sur la base de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée », écrit le Conseil d’Etat. Toutefois, « il n’appartient pas au juge administratif de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire ».
L’existence des contrôles discriminatoires est largement documentée depuis des années. En 2017, le Défenseur des droits avait conclu qu’un jeune homme « perçu comme noir ou arabe » avait vingt fois plus de probabilités d’être contrôlé que toute autre personne.