L’application de la réforme de la police judiciaire (PJ) a débuté ce 1er décembre, avec la région Nouvelle-Aquitaine comme précurseuse. Alors que des arbitrages sont encore en suspens, les choix actés entérinent la mort de l’investigation, dans la lignée du désintérêt – pour ne pas dire du mépris – affiché par l’administration en place.
Cette réforme est imposée dans un flou et un amateurisme consternants, sous la pression d’un calendrier politique. Le résultat est un projet non abouti, vendu dans ses grandes lignes, sans se soucier de l’opérationnel. En l’absence de doctrine définissant l’action des différentes filières et de gestion des moyens, les travaux préparatoires des réformateurs se sont limités à l’élaboration d’organigrammes des nouveaux services. Ceux-ci n’ont été présentés qu’à la dernière minute, instaurant un aréopage de nouveaux hauts fonctionnaires à la tête de brigades de papier.
La nouvelle organisation de la filière police judiciaire se résume en effet dans de nombreux départements à des services sans enquêteurs ni cadres. Ces structures fantômes devraient être constituées ultérieurement, au fil d’éventuelles mutations. Une promesse creuse à l’heure où l’investigation n’attire plus et à l’aube d’une année 2024 où tous les efforts seront concentrés sur les Jeux olympiques.
La raison est simple : aucun des promoteurs de la réforme, au cours de sa longue maturation, n’a anticipé le problème de l’allocation d’ancienneté dont bénéficient les policiers affectés dans certaines circonscriptions. Le rattachement de ces enquêteurs à un service départemental supprimerait cet avantage qui accélère leur avancement.
Ambition avortée
Pour éviter une rupture d’égalité et de probables recours, l’administration les écarte donc du cœur du projet, faisant avorter l’ambition d’une grande filière trop hâtivement promise par le ministre à 23 000 effectifs. Exemple extrême, mais édifiant, en Eure-et-Loir, la filière police judiciaire, qui aurait dû compter cent dix enquêteurs, se limitera aux trois agents restants de l’ex-PJ de Dreux.
La réforme provoque un transfert d’enquêteurs spécialisés dans la lutte contre la moyenne délinquance vers les services de proximité, saturés par 2,7 millions de procédures en souffrance. Ces maigres renforts ne permettront pas de résorber les stocks. Les enquêtes qu’ils menaient avec efficacité seront affectées à l’ex-PJ au détriment de ses propres dossiers, ou ne seront pas traitées.
Les trois inspections (l’inspection générale de l’administration, l’inspection générale de la police nationale et l’inspection générale de la justice) ont rendu un rapport en juin 2023 sur la constitution des stocks de procédures et leurs causes. Il serait temps d’en désigner les responsables.
Il vous reste 55% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.