La lettre de démission adressée, ce lundi 8 janvier, par Elisabeth Borne au président de la République illustre une pratique anticonstitutionnelle des institutions : les comportements des acteurs politiques sont en contradiction avec ce que prévoient les normes juridiques.
Les termes de la lettre sont sans ambiguïté. Elle débute ainsi : « Vous m’avez fait part de votre volonté de nommer un nouveau premier ministre » pour se terminer par « Alors qu’il me faut présenter la démission de mon gouvernement, je voulais vous dire combien j’ai été passionnée par cette mission… »
Ces formules contrastent avec les termes de l’article 8 de la Constitution relatif à la nomination et à la démission du premier ministre. Selon cet article, si « le président de la République nomme le premier ministre », « il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement ». A lire le texte constitutionnel, il revient donc au premier ministre de décider de démissionner et non d’être forcé à la démission, comme le trahissent – bien volontairement, à l’évidence – les termes de la lettre adressée par Elisabeth Borne à Emmanuel Macron.
Une lettre « en blanc »
Plus généralement, on ne peut qu’être étonné de l’écart qui sépare les dispositions de la Constitution de certains comportements des acteurs politiques. Ainsi de l’article 5 de la Constitution, qui confère au président de la République un rôle d’arbitrage afin d’assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, alors que celui-ci, loin d’être un arbitre, est un chef politique qui entend réaliser le programme sur lequel il a été élu. Ainsi de l’article 20, qui prévoit que le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation, alors qu’en pratique c’est bien le président de la République qui s’en charge. Il en va encore ainsi du deuxième alinéa de l’article 8, qui précise que le premier ministre propose au président les membres de son gouvernement, alors qu’ils lui sont le plus souvent imposés par ce dernier.
Certes, ces pratiques ne sont pas nouvelles. On dit souvent que, le jour de sa nomination, le premier ministre signe une lettre de démission « en blanc » qui se trouvera ainsi à la disposition du président de la République. En l’espèce, on relèvera que les termes de la lettre de démission d’Elisabeth Borne sont très proches de ceux utilisés par Michel Rocard en 1991, qui n’avait pas hésité à reconnaître, quelques années plus tard, qu’il avait été purement et simplement limogé par le président de la République.
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