Avec la disparition de Jacques Delors, président de la Commission européenne de 1985 à 1995, c’est une page de l’histoire européenne qui se tourne. Il est temps de faire aujourd’hui le bilan critique de cette période décisive et d’en tirer des leçons pour l’avenir, à quelques mois des élections européennes de 2024.
Acte unique en 1986 (libre circulation des biens et des services), directive européenne de 1988 sur la libéralisation des flux de capitaux, traité de Maastricht en 1992 : c’est peu dire que l’Europe que nous connaissons aujourd’hui fut modelée au cours de cette période.
En particulier, c’est le traité de Maastricht, adopté de justesse par les électeurs français en septembre 1992 (51 % de oui), qui transforme l’ancienne Communauté économique européenne (CEE, instituée en 1957 par le traité de Rome) en Union européenne (UE) et la dote d’une monnaie unique. Comme prévu en 1992, l’euro entre en vigueur en 1999 pour les entreprises et en 2002 pour les particuliers.
Le traité constitutionnel de 2005, rejeté en France par référendum (55 % de non) puis adopté par la voie parlementaire après quelques menus changements sous la forme du traité de Lisbonne en 2007, se contente au fond de consolider les décisions cruciales prises entre 1986 et 1992 et de constitutionnaliser les principes de libre concurrence et de libre circulation, sans nouveauté majeure. Le traité budgétaire de 2012 durcit les critères de Maastricht fixés en 1992 sur la dette et les déficits, là encore sans innovation centrale.
Aucune fiscalité commune
Pour comprendre ce qui se joue dans les négociations européennes décisives menées entre 1985 et 1995, l’ouvrage de référence reste celui publié en 2007 par Rawi Abdelal (Capital Rules. The Construction of Global Finance, Harvard University Press, 2007, non traduit en français). A partir de dizaines d’entretiens approfondis avec les principaux acteurs politiques et hauts fonctionnaires européens de l’époque, en particulier Jacques Delors et Pascal Lamy, Rawi Abdelal analyse avec finesse les visions de l’avenir et les marges de négociation des uns et des autres.
Pour résumer, le pari des socialistes français est que la création de l’euro et de la Banque centrale européenne (BCE), puissante institution fédérale prenant ses décisions à la majorité des voix, permettra à terme la constitution d’une puissance publique européenne capable de réguler les forces économiques plus efficacement que n’a réussi à le faire le gouvernement français d’union de la gauche issu des élections de 1981.
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