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« Si l’on veut conjurer la fatalité d’une arrivée au pouvoir de Marine Le Pen, il faut certes combattre ses idées. Mais cela ne suffira pas »

L’extrême droite a le vent en poupe, en France comme en Europe. Elle a fait, depuis longtemps, ce qu’il fallait pour qu’il en soit ainsi. Elle a imposé patiemment l’idée que l’identité a pris la place centrale qu’occupait naguère l’égalité. Elle s’est faufilée dans le flux des angoisses portées par la prétendue guerre des civilisations. Sans doute a-t-elle perçu mieux que d’autres que l’époque a basculé, que l’effondrement du soviétisme a entraîné l’espérance sociale dans sa débâcle, que le cocon de l’Etat-providence s’est disloqué, que la mondialisation heureuse s’est évanouie. Elle joue donc de la mise à l’écart que lui avait value son naufrage dans les fascismes d’avant 1945. N’ayant participé d’aucun pouvoir, de droite comme de gauche, elle serait la relève par excellence, l’ultime recours pour empêcher la débâcle nationale annoncée.

On dit qu’elle s’est dédiabolisée. Sans doute, mais là n’est pas l’essentiel. Le plus important tient à ce qu’elle est portée par un air du temps où dominent l’incertitude, l’inquiétude et le ressentiment, la peur d’un monde instable, de rapports de force incertains, de sociétés disloquées et violentes, où les hordes du « eux » menacent en permanence les équilibres vertueux du « nous ».

Dans ce contexte, la dynamique des droites extrêmes est moins dans leur image que dans la cohérence de leur projet. Si le cœur du problème est dans la dangerosité du monde, quoi de plus rassurant que l’hermétisme de la frontière nationale et la défense bec et ongles de l’« identité » acquise ? Si la source des difficultés quotidiennes n’est pas dans un système qui régit la distribution des richesses et des pouvoirs, mais dans l’« assistanat », quoi de plus rationnel que d’écarter de la table les parasites, et d’abord ceux qui ne sont pas de « chez nous » ?

Si l’on veut conjurer la fatalité d’une arrivée au pouvoir de Marine Le Pen, il faut certes combattre pied à pied ses idées, délégitimer un à un tous ses postulats, décrédibiliser ses solutions. Mais cela ne suffira pas. Que fait aujourd’hui la gauche, à part se déchirer ? Elle critique l’état existant, et elle a raison. Elle fait des propositions, ce qui est la moindre des choses, et elle les réunit même parfois en un programme. Mais où se trouve ce qui légitime la critique et qui fonde le programme ? Où est le projet de société, qui faisait sa force hier encore et dont l’effacement a laissé le champ libre à d’autres, de plus en plus à droite ?

Rassurer, donner confiance

Le macronisme suggère de marier la confiance, le marché et l’ordre. L’extrême droite met en avant l’inquiétude, la frontière et le mur. Les uns prônent la concurrence, les autres, l’exclusion. Des deux côtés se dessine une vision globale cohérente, fondée sur des valeurs. Nous vivons dans des sociétés qui entremêlent la peur et le besoin d’être rassuré, la colère et les tentations du bouc émissaire. Face à cela, la gauche sait être combative à l’occasion ; elle sait énumérer des propositions. Mais on n’entend pas le grand récit d’une société rassemblée et apaisée par l’égalité, le respect de chacune et de chacun, la citoyenneté, la solidarité et la sobriété.

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