Des peines allant de trois mois à trois ans de prison avec sursis ont été requises jeudi 18 janvier contre trois policiers jugés aux assises de Seine-Saint-Denis, pour l’interpellation violente en 2017 de Théodore Luhaka, grièvement blessé à l’anus avec une matraque télescopique.
La peine la plus lourde – trois ans de prison avec sursis – a été requise à l’encontre du gardien de la paix Marc-Antoine Castelain, auteur du coup de matraque, qui est poursuivi pour des violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente.
Pour les deux autres accusés, Jérémie Dulin et Tony Hochart, poursuivis pour des violences volontaires, l’avocat général a demandé respectivement des peines de six et trois mois de prison avec sursis.
Juste avant de prononcer ses réquisitions, l’avocat général, Loïc Pageot, s’est adressé à M. Luhaka en déclarant : « vous allez peut-être penser que ces peines peuvent paraître dérisoires ». « On part sur un contrôle d’identité banal et au bout du compte une vie brisée », a aussi dit M. Pageot. Le magistrat les a justifiées par l’« absence d’antécédent » judiciaire des trois accusés et du temps long, celui des sept années écoulées depuis le début de l’affaire.
Les trois policiers sont accusés d’avoir commis plusieurs gestes brutaux sur la victime, 22 ans à l’époque, lors d’un contrôle d’identité ayant mal tourné, le 2 février 2017 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). La scène avait été captée par les caméras de vidéosurveillance de la ville.
Séquelles irréversibles
On y voit quatre hommes en uniforme – l’un d’eux sera mis hors de cause – venir à la rencontre d’un groupe de jeunes au pied d’un immeuble. Une minute après le début du contrôle, la situation dégénère.
Aux prises avec les agents, le jeune homme se débat, perd sa veste, se retrouve au sol, reçoit des coups et du gaz lacrymogène, avant d’être relevé et bloqué contre un muret par les policiers, qui peinent à le menotter.
C’est alors que l’agent Marc-Antoine Castelain, qui se trouve derrière M. Luhaka, lui porte un coup d’estoc au niveau des fesses avec la pointe de sa matraque, qui provoque une rupture du sphincter anal. Le jeune homme s’effondre au sol, où il continue de recevoir des coups.
« C’est un geste volontaire » qui « n’est pas un regrettable accident », affirme l’avocat général, avant d’énumérer les autres « violences policières » contre la victime : « coup de poing au ventre », « coup de genou », « gaz lacrymogène ».
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Puis le magistrat montre aux jurés un cliché de la victime au sol, visage tuméfié, tee-shirt ensanglanté. « Nous n’avons pas besoin de ces personnes qui exercent des violences gratuites », s’emporte-t-il.
Malgré deux opérations chirurgicales, M. Luhaka, aujourd’hui âgé de 29 ans, garde des séquelles irréversibles, selon les experts médicaux.
Au cours du procès, le fonctionnaire de police avait exprimé sa « compassion » après avoir provoqué la grave blessure, mais a estimé son « coup légitime », « enseigné à l’école ». Une enquête administrative de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) avait conclu à « un usage disproportionné de la force ». « Il n’a pas agi comme le bras armé de violences systémiques, il a voulu “faire de son mieux” », a expliqué son avocat Louis Cailliez.
« Devoir d’exemplarité »
Les trois policiers accusés sont toujours en activité, mutés dans leurs régions d’origine. Le ministère public a requis une interdiction d’exercer de cinq ans sur la voie publique pour M. Castelain et de deux ans pour M. Dulin.
Avant ce réquisitoire, l’avocat de la victime, Antoine Vey, a tenu à rappeler que « la justice, comme la police, [était] une institution qui a un devoir d’exemplarité ».
« Ce procès n’est pas le procès de la police. Ce n’est pas le procès de la malchance, de l’accident ou de la violence légitime, c’est le procès de la violence illégitime par des gens qui portent l’insigne du gardien de la paix », a lancé Me Vey. Emu, la voix tremblante, l’avocat a demandé à la cour d’assises de permettre à M. Luhaka « de passer de son statut de mort-vivant à vivant ».
Presque sept ans après cette affaire au retentissement national, le débat sur le maintien de l’ordre et l’usage de la force par la police n’a cessé de ressurgir à la faveur de faits divers.
Sur le plan administratif, d’éventuelles sanctions disciplinaires seront prononcées « à l’issue de l’instance judiciaire », a fait savoir la préfecture de police de Paris avant le procès. Le verdict est attendu vendredi.