Parmi les annonces faites par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 16 janvier, celle qui regarde l’objectif d’un « réarmement démographique » de la France me paraît non seulement choquante au regard des termes martiaux utilisés, mais aussi scandaleuse dans une perspective démocratique. Affirmer la nécessité d’une politique nataliste, même en l’accompagnant d’un plan de lutte contre l’infertilité, c’est relancer un programme d’un autre âge et prendre à rebours des décennies de conquête féministe en faveur de l’autonomie des femmes.
Il existe un lien étroit entre le contrôle du ventre maternel et la logique patriarcale d’objectivation du corps des femmes. Depuis qu’Aristote a défini l’existence féminine à travers le seul prisme des fonctions sexuelle et reproductive, il est considéré comme une ressource possédée en commun par la société et par chaque homme en particulier – et ce, jusque dans nos sociétés modernes, ainsi qu’en témoignent les gestes et les paroles que le moindre quidam s’autorise à la vue d’un corps enceint.
Cette idée d’une propriété de la capacité procréatrice a été théorisée dans les années 1970. Pour les militantes radicales américaines, la maternité imposée constituait le prix à payer, par les femmes, pour la protection de ceux qui devenaient leurs « propriétaires » et les mettaient à l’abri de la violence des autres hommes. Chez les matérialistes françaises, l’anthropologue Colette Guillaumin mobilisait la notion de « sexage » pour désigner l’appropriation des femmes dans leur individualité physique par la classe des hommes qui s’accaparait le contrôle de leur temps (tâches domestiques), des produits de leurs corps (enfants) et de leur sexualité (mariage, prostitution).
Logiques de dépossession
Cinquante ans plus tard, ces analyses sont loin d’être dépassées, comme en témoignent les mobilisations contemporaines contre les violences sexistes, conjugales et sexuelles. Le corps des femmes est et demeure le lieu d’un service sexuel/maternel dû à la société et aux hommes. Quiconque tente de s’y soustraire court le risque d’une sanction souvent symbolique − la non-maternité stigmatise grandement celles qui en font le choix − mais aussi, parfois, fatale – faut-il rappeler que les féminicides sont majoritairement le fait d’hommes ne supportant pas le départ ou la volonté de partir de leur conjointe ?
Lorsque le président de la République déplore que les femmes ne fassent pas davantage d’enfants, il occulte les raisons pour lesquelles le projet parental fait aujourd’hui réfléchir. Le cadre d’ensemble de la fondation des familles a de quoi décourager. Crise environnementale, inflation, insécurité internationale : les motifs de renoncer à devenir parents ne manquent pas. Mais ce sont surtout les conditions dans lesquelles les femmes deviennent mères qu’il faut interroger. L’enquête que j’ai menée auprès d’une trentaine d’entre elles (Un si gros ventre. Expériences vécues du corps enceint, Stock, 2023) révèle l’intensité des logiques de dépossession par lesquelles les femmes se trouvent réduites à leur si gros ventre et, littéralement, désubjectivées, c’est-à-dire privées de toute réflexivité et de toute agentivité durant leur grossesse et au-delà.
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