A l’heure des coups d’Etat – neuf ont été recensés entre 2020 et 2023 –, où en est la démocratie sur le continent africain ? Alors que dix pays devraient connaître des consultations nationales en 2024, c’est la question à laquelle tente de répondre l’essai critique De la démocratie en Françafrique. Une histoire de l’impérialisme électoral (La Découverte, 384 pages, 22 euros), de la journaliste française Fanny Pigeaud et de l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla. Les deux auteurs nous plongent dans l’introduction du système représentatif électif au sein des pays africains colonisés par la France.
« Quand nous parlons de nos jours de démocratie, nous ne sommes pas forcément conscients que nous utilisons le langage d’auteurs et d’hommes politiques qui ont eux-mêmes rejeté le principe d’un gouvernement par le peuple et qui ont conçu le système représentatif comme son antidote », résume Ndongo Samba Sylla. Après avoir parcouru deux mille cinq cents ans d’histoire, remontant aux origines du mot demokratia, les deux auteurs rappellent le cheminement de ce concept d’abord entendu comme l’égalité politique entre « tous ». De l’Antiquité au milieu du XIXe siècle, le mot est détesté par l’aristocratie, jusqu’à devenir le masque d’un « système politique oligarchique d’un nouveau genre appelé gouvernement représentatif ». Il est, enfin, associé aux scrutins tenus au suffrage universel.
« Promesses illusoires »
En réinscrivant le « récit standard de la démocratie » dans le temps long, les coauteurs montrent comment les nations occidentales, lors des quatre siècles du développement du capitalisme, ont privé les peuples non européens de « leurs droits à être des êtres humains ». Ce n’est que sous la IIIe République qu’une partie des élites cédera un peu de pouvoir à une partie des habitants des colonies. Les fraudes serviront à limiter la portée de cette mesure.
Avec cette nouvelle critique de la « Françafrique », Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla dénoncent les procédés déployés, selon eux, depuis la période coloniale pour corseter l’expression d’une volonté populaire en Afrique francophone. L’exemple ivoirien en 2011 est, d’après eux, un cas d’école de la capacité de la France à imposer son candidat, jusqu’à l’implication militaire. Cette séquence, estime Ndongo Samba Sylla, a mis à mal « les promesses illusoires de la démocratie libérale ». Mais, dans ce cas précis, les coauteurs éludent la stratégie de conservation du pouvoir de l’ex-président Laurent Gbagbo, qui, contrairement à son engagement, refusa de reconnaître la victoire d’Alassane Ouattara, pourtant validée par les Nations unies. Plus largement, les deux auteurs ne font pas grand cas de tous ceux qui, sur le continent, se sont battus contre les régimes de parti unique.
Soulignant les limites du système représentatif, ceux-ci envisagent des innovations comme le tirage au sort des postes de délibération, les référendums d’initiative populaire ou les audits citoyens. Au risque de faire le lit des populistes, en treillis ou revêtus du costume du jeune leader.
« De la démocratie en Françafrique. Une histoire de l’impérialisme électoral », de Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla, La Découverte, 384 p., 22 €.