Les députés se sont déclarés favorables à une large majorité, mercredi 24 janvier en soirée, à l’inscription dans la Constitution de « la liberté garantie » pour les femmes d’avoir recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le vote solennel dans l’Hémicycle sur le texte aura lieu mardi 30 janvier, mais l’attention était portée sur la formulation de l’article 1er − et unique − de ce projet de loi.
Depuis le vote le 24 novembre 2022, à l’Assemblée nationale, d’une proposition de loi issue des rangs du groupe La France insoumise (LFI), les termes du texte ont évolué. Mercredi, les parlementaires ont débattu de l’opportunité d’insérer à l’article 34 que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».
Par cette formulation, l’exécutif espère trouver une voie entre l’Assemblée, qui avait voté le texte LFI pour consacrer un « droit » à l’IVG, et le Sénat, qui avait validé de justesse quelques mois plus tard l’inscription dans la Constitution d’une « liberté ».
99 voix pour, 13 contre
Après des débats souvent âpres entre la majorité et la gauche d’un côté, et des élus Les Républicains (LR) de l’autre, le texte proposé dans le projet de réforme constitutionnelle a recueilli 99 voix pour. Le camp présidentiel et les députés de gauche et de LIOT présents ont apporté leurs voix, comme deux députés LR et deux du Rassemblement national (RN). Treize députés ont voté contre (4 LR, 8 RN et une non-inscrite).
« L’IVG n’est pas une liberté comme les autres, car elle permet aux femmes de décider de leur avenir », avait lancé en ouverture des débats le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti.
« Notre pays ne peut pas se ranger aux côtés des Etats-Unis de Trump, ou de la Hongrie d’Orban. Les corbeaux sont à nos portes et nous ne laisserons pas nos corps », a lancé la députée écologiste du Rhône Marie-Charlotte Garin. Malgré des regrets à gauche sur l’abandon du terme de « droit » ou l’absence de référence à la contraception, Mathilde Panot (LFI) a appelé à acter une « victoire historique » sur les « anti-droits [qui] siègent (…) à l’extrême droite ».
« Il n’est pas question que notre famille politique remette en cause l’accès à l’avortement », a rétorqué Pascale Bordes (RN, Gard), critiquant une réforme « inappropriée et inutile ».
Débats sur l’allongement du délai légal
Les débats ont tourné à l’aigre dans la soirée, notamment lors de l’examen d’amendements LR pour faire revenir le délai légal d’IVG à douze semaines (contre quatorze actuellement). Reprochant à la majorité de ne pas s’engager contre un hypothétique allongement important de la durée légale, Xavier Breton (LR) l’a accusée de se comporter en « remorque du Planning familial », suscitant une bronca à gauche et chez les macronistes.
Prenant la défense de l’association, « indépendante », le rapporteur Renaissance Guillaume Gouffier Valente a rétorqué n’avoir pas vu passer « le moindre amendement demandant un allongement » à gauche ou chez les macronistes, mais plusieurs qui « attaquent l’accès au droit à l’avortement » venant de la droite.
Sur le fond, Eric Dupond-Moretti s’est efforcé de répondre aux LR qui voient dans la formule « liberté garantie » une brèche pour un allongement de la durée légale, sans que le Conseil constitutionnel puisse s’y opposer. La révision ne créera pas de « droit absolu et sans limite », a-t-il insisté.
Invoquant un « équilibre » de la loi Veil entre liberté des femmes et « protection de l’enfant à naître », des députés LR ont plaidé pour constitutionnaliser la « sauvegarde de la dignité humaine » et la clause de conscience des soignants refusant de pratiquer l’IVG. Dans un dialogue de sourd, le ministre a martelé qu’elles étaient sécurisées par des décisions du Conseil constitutionnel, appelant à respecter l’« équilibre du texte », mais sans réussir à les convaincre.
Les regards tournés vers le Sénat
Si l’ensemble du texte est adopté à l’Assemblée mardi, ce qui ne fait guère de doute, il devra ensuite être adopté dans les mêmes termes au Sénat − une hypothèse incertaine à ce stade − pour espérer être entériné. Car la voie choisie pour une révision constitutionnelle nécessite que les deux chambres adoptent le même texte, avant qu’il soit soumis à un scrutin au Congrès réunissant les parlementaires, et nécessitant trois cinquièmes des voix.
Mais tout changement de texte aurait des conséquences sur le calendrier. Pour qu’un Congrès puisse être réuni, il faudrait que le Sénat approuve le 28 février cette notion de « liberté garantie », qui fait tiquer des cadres à droite. Et la droite sénatoriale, peu encline à faire de cadeau à l’exécutif, avait vécu comme une pression le fait que le gouvernement suggère, en décembre, la date du 5 mars pour réunir le Congrès, ce qui supposerait que le Sénat avalise la rédaction du gouvernement.
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« Nous prendrons le temps qu’il faut pour aller au bout de cette révision », promise par M. Macron, a tenté de déminer M. Dupond-Moretti, mercredi. Si le Sénat adoptait à nouveau une version différente de l’Assemblée, la navette parlementaire reprendrait.