On ne joue pas impunément avec la législation sur l’immigration, sujet au cœur des controverses publiques et des stratégies de conquête du pouvoir. Pour avoir ignoré cette vérité d’évidence en faisant voter coûte que coûte une loi dont 40 % des articles viennent d’être déclarés inconstitutionnels, le président de la République rend un bien mauvais service à l’Etat de droit en France, valeur suprême de la démocratie. Emmanuel Macron, en faisant passer l’exigence d’un accord avec la droite sur le projet de loi Darmanin avant l’exemplarité constitutionnelle attachée à sa fonction, a transformé le nécessaire débat sur l’immigration en une partie de billard politique de court terme aux lendemains inquiétants.
En apparence, bien sûr, l’exécutif peut crier victoire : le Conseil constitutionnel a épargné presque toutes les dispositions du projet de loi initial préparé par le ministre de l’intérieur, comme la fin de certaines protections et possibilités de recours contre les éloignements forcés d’étrangers (rétablissement de la « double peine ») et l’instauration controversée du juge unique pour statuer en dernier ressort sur les demandes d’asile. Quant au fameux article facilitant la régularisation des travailleurs sans papiers, il a aussi survécu, n’étant pas inclus dans le recours au juge constitutionnel des députés de gauche qui l’avaient pourtant combattu.
Mais la reconnaissance du caractère non constitutionnel de presque toutes les mesures introduites par les élus de droite Les Républicains (LR) et adoptées par la majorité présidentielle reflète au minimum, chez cette dernière, le cynisme politique et l’indifférence aux règles parlementaires. Au pire, elle traduit le mépris pour des principes républicains de base comme le droit du sol – remis en cause dans le texte voté –, et l’égalité devant la loi – malmenée pour le bénéfice de prestations sociales.
Un gros cadeau au RN
Certes, les dispositions qui visaient à remettre en cause ces valeurs fondamentales ont été censurées non après un examen au fond, mais parce qu’elles constituaient des « cavaliers législatifs », sans « lien même indirect » avec le projet de loi initial. Mais comment aurait-il été possible de justifier que de nouveaux obstacles posés à l’accès à la nationalité et à des allocations, pour des étrangers en situation régulière, allaient permettre de « contrôler l’immigration » ou d’« améliorer l’intégration », objectifs officiels du texte ?
En réalité, ni l’exécutif, qui s’est servi du Conseil constitutionnel pour tenter de faire oublier le vote de ses élus avec l’extrême droite et jeter en pâture les élus LR, ni ces derniers, qui ont perdu leur âme – et presque rien apporté au texte final – en reprenant des mesures inspirées par l’extrême droite comme la « préférence nationale », ne sortent indemnes du terrible et vain « crash-test » de la loi sur l’immigration. Pas plus que la gauche, dont le refus de débattre, manifesté par son vote de la motion de rejet à l’unisson de Marine Le Pen, traduit les ambiguïtés et la panne d’idées.
Une loi brouillonne aux effets potentiels minimes, une majorité abîmée après des mois de controverses sur les thèmes de prédilection de l’extrême droite, des juges constitutionnels qui ont limité les dégâts mais sont désormais en position de boucs émissaires… Qui peut se réjouir d’un si piètre bilan, mis à part la cheffe du Rassemblement national, qui rêve de monter « le peuple » contre « les juges » et de faire sauter les garde-fous constitutionnels et européens pour légaliser la discrimination et la xénophobie, défigurer la République et discréditer l’image de la France ? A la veille de la campagne des élections européennes, prévues en juin, le petit jeu du chef de l’Etat sur l’immigration apparaît comme un gros cadeau aux forces qui spéculent sur l’affaiblissement de l’Etat de droit, le discrédit des institutions et la défiance à l’encontre des politiques.