Sa maîtrise de biologie en poche, elle aurait pu devenir éleveuse d’escargots. « J’aurais combiné ainsi deux passions, la biologie et la cuisine », déclare avec gourmandise Nathalie Lambert. Finalement, elle va passer une grande partie de sa vie au laboratoire, à côtoyer des tubes de sang humain et murin, poursuivant inlassablement la même quête : comprendre ce qui favorise les maladies auto-immunes, en particulier la sclérodermie, qui rigidifie la peau, et la polyarthrite rhumatoïde, qui attaque les articulations. Dans ces pathologies, le système immunitaire, censé protéger notre corps contre les infections, se retourne contre lui : il produit des autoanticorps qui s’attaquent aux propres cellules de l’organisme. Or 80 % des personnes affectées par des maladies auto-immunes sont des femmes. Les hormones sont incriminées, ainsi que le chromosome X, dont les femmes possèdent deux exemplaires.
Mais une autre partie du voile est en train de se lever grâce aux travaux que Nathalie Lambert, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et son équipe conduisent dans l’unité « arthrites auto-immunes », dont elle a repris officiellement la direction en 2023. Le cadre est enchanteur : le campus de Luminy est situé au-dessus de la calanque de Sugiton, dans le sud-est de Marseille. L’équipe n’a guère le temps d’en profiter. « En arrivant sur le campus, en 2007, on se promettait d’y faire un pique-nique par mois. Depuis, on a dû en faire deux… »
La piste, qu’elle explore depuis plus de vingt-cinq ans, est celle du microchimérisme. « Nous abritons tous dans notre corps, sans les rejeter, des cellules migrantes qui viennent d’un autre organisme que le nôtre », expose Nathalie Lambert. Au moment de la grossesse s’opère un transfert de cellules, notamment celles du système immunitaire, entre la mère et le fœtus, par le placenta. Elles peuvent ensuite se nicher dans chacun de nos organes. Dans le cas des maladies auto-immunes, ces cellules semi-étrangères pourraient attaquer notre système immunitaire, à moins qu’il ne se retourne contre elles. Cela expliquerait pourquoi les femmes, principales porteuses des cellules microchimériques, sont aussi la première cible de ces maladies.
Le microchimérisme, sujet jugé marginal
En 1996, la jeune étudiante Nathalie Lambert est loin de penser que ces cellules vagabondes vont bouleverser sa vie. Issue d’un milieu modeste, père cheminot et mère employée à l’hôpital de Cahors, elle poursuit des études supérieures, à la grande fierté de ses parents. Passionnée par les mécanismes en biologie, elle termine sa thèse sur les tissus ostéoarticulaires dans le laboratoire d’immunologie de Claude de Préval, à Toulouse, quand, à la dernière minute, sa codirectrice de thèse, Hélène Coppin, lui propose de faire une présentation au congrès mondial du HLA (human leukocyte antigen, « antigène des leucocytes humains »), à Paris.
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