J’ai lu avec intérêt la tribune de Joël Fagot « La politique de développement des énergies renouvelables est source de dissonances cognitives », publiée le 16 janvier dans Le Monde. Ingénieur des ponts, des eaux et des forêts et docteur en sciences de l’environnement, j’instruis des dossiers concernant des espèces protégées. Je ne connais pas la montagne de Lure, ni les projets de centrale photovoltaïque qu’il évoque ou les enjeux de biodiversité de ce site des Alpes-de-Haute-Provence.
J’ai travaillé de manière concrète et durable sur près d’une quinzaine de centrales photovoltaïques, du début du projet à la réalisation. Mon métier consiste à limiter les impacts de ces projets sur les habitats naturels, la faune et la flore. J’ai ainsi eu à résoudre les problèmes qu’il y a à installer une centrale solaire sur un coteau calcaire alors qu’il convient de le protéger, au nom de la directive habitats-faune-flore. J’ai suivi, par exemple, comment un projet pouvait laisser vivre le papillon azuré de la coronille, sa plante hôte. Autre exemple : je me suis rendu sur des habitats à petits gravelots et à œdicnèmes criards maintenus en marge d’une immense ferme solaire, pour inspecter, à la jumelle, à 7 heures du matin, l’efficacité de ces précautions écologiques.
La tribune de Joël Fagot parle d’un fait actuel : une centrale photovoltaïque peut s’avérer antinomique avec la préservation de la biodiversité d’un site. Cependant, elle en parle mal pour trois raisons.
Premièrement, cette tribune évacue l’écologie scientifique. Comme s’il s’agissait d’un massacre en cours, d’un écocide. L’outrance facilite la tâche cognitive, sans doute. Or préserver les patchs de coteaux calcaires et restaurer des habitats à l’azuré de la coronille ne se fait pas sans la phytosociologie et sans l’entomologie. Les subtilités de Dame Nature sont alors au rendez-vous, et qui discute sérieux rangera ses lubies et ses outrances dans sa poche.
La mafia des mots
Deuxièmement, cette tribune court-circuite une notion fondamentale du civisme républicain : le débat contradictoire, en particulier dans le cadre des procédures d’autorisation environnementales. Là où l’auteur greffe la notion de dissonance cognitive, il s’agit en fait d’un antagonisme entre des visées de différents agents. Que nous agissions en tant que membre associatif, citoyen ou professionnel, nous poussons dans des directions que d’autres ne souhaitent pas, et, même, désirent contrer. C’est dissonant, pourquoi pas. La tribune que nous contredisons en trois points omet de dire que le maire est associé à la décision de construire une centrale photovoltaïque, qu’il y a des procédures : permis de construire, dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées notamment. Cela lui permet de mettre en avant les militantes interpellées et jugées pour s’être opposées aux engins de chantier, et de ne pas poser la question du statut de leur acte par rapport à une décision du préfet.
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