LA LISTE DE LA MATINALE
Des voix puissantes s’élèvent dans les livres de la semaine. Celle, d’une énergie renversante, du poète Victor Malzac, dans son premier roman, Créatine. Celle de la Prix Nobel Olga Tokarczuk, dans Le Banquet des empouses, version ironique et fantastique de La Montagne magique, de Thomas Mann. Celle d’un officier du KGB des années 1960, dont Iegor Gran traduit le manuel destiné aux apprentis espions. Celle de l’héroïne du nouveau roman de Valérie Zenatti, Qui-vive, en prise avec le chaos du monde. Celle, enfin, du philosophe Daniel Milo, critique de la fusion du capitalisme avec la théorie darwinienne de la sélection naturelle.
ROMAN. « Créatine », de Victor Malzac
Une voix est là, envahissante, syncopée, d’emblée un peu gênante, on dirait celle d’un vieil ivrogne qui s’introduit dans une bibliothèque et qui oblige les étudiants à écouter sa vie, le démentiel récit. Sauf qu’ici la voix est celle d’un tout jeune homme sans nom, sans aucun « truc distinctif » surtout, rien qui l’intéresse à part tuer son corps petit et impuissant et lâche et devenir enfin un monstre dominateur « comme Arnold Schwarzenegger notre père à tous et notre frère ».
De fait il ne se passe pas grand-chose dans Créatine : le narrateur tape son père dans le jardin et « femme » sur Google, il découvre les salles de sport, tente de se masturber, s’en remet plutôt au coach de Muscle3000 et aux pouvoirs magiques du gel douche AXE POWER ULTIMATE 8 VIRIL XXXXL, histoire d’en finir avec le vide en soi, la honte : « Plus vite j’allais après, grandi, j’avais été jusqu’au bout de l’homme. » Il ne se passe pas grand-chose, donc, sinon l’avènement d’une écriture qui harponne le lecteur par son énergie, sa drôlerie, et qui rythme le désarroi de la jeunesse pour faire de l’autodestruction un geste de protestation, la seule jubilation à la fin.
Après trois recueils qui lui ont déjà permis de se manifester fortement, Victor Malzac, 26 ans, poète surgi d’un village occitan, normalien formé à l’école du skate et des jeux vidéo, signe un premier roman qui confirme ses dons, sa capacité à créer l’image, son art de chambouler la langue pour libérer notre regard, nos émotions. J. Bi.
ROMAN. « Le Banquet des empouses », d’Olga Tokarczuk
L’action du Banquet des empouses tourne autour du séjour imaginaire effectué en 1913 par Mieczyslaw Wojnicz, un jeune aspirant ingénieur, au sanatorium de Görbersdorf (aujourd’hui Sokolowsko, en Pologne), dans la chaîne des Sudètes, au cœur de la Basse-Silésie, alors germanophone. La Montagne magique, de Thomas Mann, a beau résonner en « voix derrière la scène », Olga Tokarczuk s’emploie aussi bien à la célébrer qu’à la déconstruire.
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