Les plans de sobriété énergétique, qui se diffusent dans l’entreprise, ont transformé certains coins de l’open space en mini-Sibérie. On exagère un peu, mais près de la fenêtre et loin du chauffage, lorsque la température passe sous les 19 degrés, le salarié est susceptible de ressentir un inconfort thermique qui pourra éventuellement perturber l’accomplissement de ses tâches professionnelles − d’après l’Institut national de recherche et de sécurité, la température idéale au travail se situerait entre 21 et 23 degrés. Lorsque l’on s’active essentiellement sur des outils informatiques, il n’est pas toujours évident de se réchauffer.
D’où la diffusion d’un nouvel accessoire devenu quasiment incontournable dans l’entreprise : la doudoune légère, popularisée par l’enseigne japonaise Uniqlo, et sa variante sans manches, parfois portée sous la veste de costume. Auxquels viennent s’adjoindre cols roulés, doubles chaussettes, écharpes, éventuellement mitaines. Au-delà de l’aspect purement pragmatique de conservation de la chaleur corporelle, ce style « Arctic casual » possède aussi une portée managériale, permettant de diffuser un certain nombre de messages top-down. On se souvient d’Elisabeth Borne, l’ancienne première ministre, présidant une réunion en doudoune, pour dire toute son application à lutter contre le réchauffement climatique (oui, il vaut mieux − 2 degrés au bureau que + 1,5 degré dans l’atmosphère).
Chez le « leader à doudoune », promoteur de petits gestes écocitoyens, le vêtement sert en premier lieu à signifier une forme d’exemplarité. Au temps de la responsabilité sociale des entreprises, le chef est toujours celui qui doit avoir plus froid que les autres – et, en conséquence, le montrer. Mais ce n’est pas tout. Ce style multicouche, qui est traditionnellement adopté par les architectes alternant entre les bureaux d’études et la boue des chantiers, envoie un message plus prosaïque : celui qui l’arbore devient, par le pouvoir signifiant d’une simple pièce de vestiaire, un dirigeant de terrain, proche de ceux qui font, capable de naviguer avec aisance d’un bout à l’autre de la chaîne de production, voire de mettre les mains dans le cambouis, si besoin.
Un humain comme les autres
De cette façon, le leader à doudoune exprime son désir sincère de transversalité, pas toujours évident à communiquer : s’il a froid, c’est bien qu’il est un humain comme les autres, et non pas un demi-dieu perché sur l’Olympe climatisé de l’organigramme. En cela, le leader à doudoune a quelque chose de sympathique, témoignant d’une époque où le vêtement n’est plus là pour marquer les différences hiérarchiques, mais pour les abolir, à la fois dans l’entreprise et entre les métiers − la doudoune, c’est aussi celle du fleuriste, du boucher, du grossiste de Rungis.
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