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« Rock Me Amin », les vies rockambolesques de Mister Frog

Jean-Yves Labat de Rossi à Woodstock, en 1974.

Les chats auraient sept vies, et, à 76 ans, cette grenouille-là en a presque épuisé autant. L’une, ce fut en 1977, lors d’une expédition en Ouganda sous la coupe d’Amin Dada (1925-2003). Le but est d’enregistrer le sanguinaire despote à l’accordéon – un hobby qu’il partageait avec Valéry Giscard d’Estaing – pour une version iconoclaste du chant de Noël The Little Drummer Boy… Ce pitch tragi-comique constitue la quête de Rock Me Amin (Arthaud, 304 pages, 19,90 euros), premier livre publié par Jean-Yves Labat de Rossi, connu par les spécialistes du rock progressif sous son pseudonyme de Mister Frog. Son stupéfiant (au propre comme au figuré) récit se dévore comme un polar, entre la drôlerie crue d’un San Antonio et le style gonzo de Hunter S. Thompson : une sorte de Kampala Parano.

Mister Frog a cramé la chandelle par les deux bouts, et l’on ne sait par lequel commencer pour le présenter. Va pour Woodstock. Le musicien doit son surnom à sa qualité de « Frenchie » dans la localité de l’Etat de New York et ses environs, quand elle était un haut lieu de la contre-culture au début des années 1970. Ce qui a aiguisé la curiosité de Valérie Dumeige, directrice éditoriale d’Arthaud. « Je ne suis pas écrivain, précise-t-il d’emblée, et je n’avais jamais écrit. Mais Valérie a pensé qu’il n’y avait que moi pour raconter ça. La mémoire est fraîche dès qu’on ouvre le tiroir, même les odeurs me sont revenues. Il fallait utiliser le présent et écrire comme on le fait pour la musique, avec un groove et la bonne tonalité. » Ce qui passe ici par l’usage de néo-verbes et de l’argot. L’exergue est emprunté au Céline de Londres.

« Le mode de pensée, certifie le boomeur, est celui de l’époque. » Soit l’infernal triptyque « sex, drugs and rock ’n’ roll », qui nous éloigne quelque peu des standards néo-féministes contemporains. Préoccupé par ce qu’il nomme « la bagatelle », le protagoniste rencontre des femmes qui le sont autant, à commencer par Bonnie, la serveuse du Bear Café de Woodstock, « dévastatrice dans sa minijupe de cuir noir et son débardeur météorisé par une paire de seins aériens qui vous aiguillonnent avec insolence ». Pour les paradis artificiels, Mister Frog est en condition dès la première page, en redescente d’un cocktail coke-alcool. « Le Woodstock que j’ai connu, c’était ça : on s’ennuie, on se cocufie et on se défonce. »

Quant au rock ’n’ roll, on peine à imaginer aujourd’hui qu’il fut la cause perdue de Jean-Yves Labat de Rossi. Celui qui fut éduqué par les frères maristes reçoit en effet en son prieuré jouxtant une église du XIIIe siècle à Saint-Avit-de-Tardes (Creuse), 170 âmes. Le bâtiment abrite la maison de disques Ad Vitam, fondée avec sa deuxième épouse, l’ancienne juriste Anne Dieumegard, pour l’album D’une seule voix (2004). Miraculeux au regard du contexte actuel, il réunissait des voix israéliennes et palestiniennes, juives, musulmanes et chrétiennes captées en Terre sainte. « C’était pendant la deuxième Intifada et j’allais d’un territoire à l’autre, car ces chanteurs ne pouvaient pas se rencontrer », se souvient le producteur. Ad Vitam s’est tournée vers le répertoire classique, les musiques minimaliste et traditionnelle, mais le cofondateur a dérogé à la ligne pour publier les œuvres enregistrées en 1969 par son premier groupe, le psychédélique Baba Scholae. Quand il portait moustache et cheveux longs, jouait de la flûte, du saxophone et des claviers au milieu de pairs britanniques.

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