Les Etats-Unis ont mené, vendredi 2 février, des frappes de représailles visant des effectifs de la force Al-Qods, la branche des opérations étrangères des gardiens de la révolution iraniens, et des groupes pro-iraniens en Irak et en Syrie, au moment même où les dépouilles de trois soldats américains, tués en Jordanie, étaient rapatriées aux Etats-Unis, a annoncé le commandement militaire américain pour le Moyen-Orient (Centcom). L’intervention, qui a duré trente minutes environ, a été « un succès », a fait savoir la Maison Blanche.
Au moins vingt-trois combattants pro-iraniens, dont cinq à Deir ez-Zor, en Syrie, ont été tués dans ces frappes aériennes sur l’est de la Syrie et l’ouest de l’Irak, a rapporté l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). En Irak, 16 personnes, dont des civils, ont été tuées, et 25 ont été blessées, selon un bilan officiel annoncé par le gouvernement irakien.
Joe Biden avait promis de répondre à l’attaque mortelle par drone menée dimanche 28 janvier à proximité de la frontière syrienne, attribuée par Washington à des groupes soutenus par l’Iran. « Notre riposte a commencé aujourd’hui. Elle continuera selon le calendrier et aux endroits que nous déciderons », a fait savoir le président américain, vendredi. « Les Etats-Unis ne veulent de conflit ni au Moyen-Orient ni ailleurs dans le monde. Mais que ceux qui veulent nous faire du mal le sachent bien : si vous touchez à un Américain, nous répondrons », a-t-il encore déclaré dans un communiqué, quelques heures après avoir assisté au retour des corps des trois militaires américains tués.
L’exécutif américain avait fait savoir que les représailles seraient multiples et étalées dans le temps, contre des cibles différentes.
Quatre-vingt-cinq sites ciblés
La Maison Blanche a assuré que les Etats-Unis avaient « prévenu le gouvernement irakien avant les frappes ». Elles « ont impliqué plus de 125 munitions de précision », a déclaré le Centcom dans son communiqué, ajoutant qu’elles avaient visé plus de 85 cibles sur sept sites différents (trois en Irak et quatre en Syrie), parmi lesquelles des centres de commandement et de renseignement, ainsi que des infrastructures de stockage de drones et de missiles appartenant à des milices et à des forces iraniennes, « qui ont permis les attaques contre les forces américaines et de la coalition », dont celle de dimanche.
Le Pentagone a précisé que les frappes de vendredi avaient mobilisé de nombreux avions de combat, dont des bombardiers à long rayon d’action.
« Un QG des factions armées dans la zone d’Al-Qaïm a été ciblé, il s’agit d’un entrepôt d’armes légères, selon des informations préliminaires », a fait savoir à l’Agence France-Presse un responsable au ministère de l’intérieur irakien, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat. Un responsable du Hachd Al-Chaabi, coalition d’anciens paramilitaires rassemblant ces factions pro-Iran, avait confirmé cette frappe et un autre bombardement visant une position dans la région d’Al-Akachat, plus au sud.
L’Iran, la Syrie, le Hamas ont condamné ces frappes
L’Iran a « condamné avec force » les frappes menées, en dénonçant « une violation de la souveraineté de la Syrie et de l’Irak », selon le porte-parole de la diplomatie, Nasser Kanaani. « L’attaque de la nuit dernière est une action aventureuse et une autre erreur stratégique de la part des Américains, qui n’aura d’autre résultat que d’intensifier les tensions et l’instabilité dans la région », a réagi M. Kanaani dans un communiqué. Il n’a pas dit si des Iraniens avaient été tués dans ces frappes et n’a pas fait allusion à d’éventuelles représailles.
« L’occupation de certaines parties du territoire syrien par les forces américaines ne peut plus durer », a dénoncé, de son côté, la Syrie, affirmant sa « détermination à libérer l’ensemble du territoire syrien du terrorisme et de l’occupation ».
Le Hamas a également pointé du doigt les Etats-Unis, qui « portent la responsabilité des conséquences de cette brutale agression contre l’Irak et la Syrie». Dans un communiqué, le mouvement islamiste palestinien a estimé qu’ils « mettaient de l’huile sur le feu » au Proche-Orient et étaient « pleinement responsables » des répercussions éventuelles.
Quelque 900 soldats américains sont déployés en Syrie, et 2 500 en Irak, dans le cadre d’une coalition internationale antidjihadiste créée pour combattre le groupe Etat islamique lorsque ce dernier contrôlait des pans entiers des territoires syrien et irakien. La défaite de l’EI en Syrie a été proclamée en 2019 (et en Irak en 2017), mais la coalition est restée dans le pays pour lutter contre des cellules djihadistes, qui continuent d’y mener des attaques.
L’Irak va convoquer le chargé d’affaires américain à Bagdad ; la Russie demande à examiner la situation à l’ONU
De son côté, le gouvernement irakien a fustigé une « violation de la souveraineté irakienne ». Ces frappes font craindre des « conséquences désastreuses pour la sécurité et la stabilité de l’Irak et de la région », a déclaré un porte-parole militaire du premier ministre irakien dans un communiqué.
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Le ministère des affaires étrangères irakien a annoncé samedi dans un communiqué qu’il allait convoquer le chargé d’affaires américain à Bagdad, David Burger, pour lui remettre une « lettre officielle de protestation contre l’agression américaine ayant visé des sites militaires et civils irakiens », en précisant que l’ambassadrice est actuellement absente de Bagdad.
Les frappes américaines ont également éte condamnées par la Russie, qui accuse Washington de croire en « son impunité » et de « semer le chaos et la destruction » au Proche-Orient. « Nous condamnons fermement ce nouvel acte flagrant d’agression américano-britannique contre des Etats souverains. Nous nous efforçons d’examiner d’urgence la situation dans le cadre du Conseil de sécurité de l’ONU », a fait savoir la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, dans un communiqué.
« Nous venons de demander la tenue d’une séance urgente du Conseil de sécurité de l’ONU sur la menace pour la paix et la sécurité créée par les frappes américaines en Syrie et en Irak », a annoncé Dmitri Polianski, diplomate de Moscou à l’ONU, sur X, précisant que la réunion devrait se tenir lundi 5 février.
Une intense pression politique aux Etats-Unis
L’armée américaine est passée à l’acte le jour où son commandant en chef, sur le tarmac de la base militaire de Dover (Delaware), rendait hommage aux trois militaires tués. les cercueils, recouverts du drapeau américain, de William Jerome Rivers, Kennedy Ladon Sanders et Breonna Alexandria Moffett, militaires de l’Etat américain de Géorgie, ont été sortis un à un d’un imposant avion de transport militaire.
John Kirby a toutefois assuré qu’il n’y avait pas de lien entre le moment choisi pour mener les frappes, qui dépendait, entre autres facteurs, des conditions météo, et la cérémonie de retour des dépouilles. Lors de l’événement, le président de 81 ans est resté immobile, la main sur le cœur et le regard fixé droit devant lui, au passage des corps. Il était accompagné de son épouse, Jill Biden, du ministre de la défense, Lloyd Austin, du chef d’état-major, Charles Brown, et d’autres personnalités. Les familles des trois militaires, à l’écart de la presse, étaient également présentes. La cérémonie, réglée au millimètre, a duré une dizaine de minutes, dans le vent froid et le silence, seulement interrompu par des ordres destinés aux militaires.
Le démocrate, en campagne pour un second mandat, fait face à une intense pression de la part de ses adversaires républicains pour répondre fermement à l’Iran. L’ancien président Donald Trump, grand favori pour l’investiture de son parti, a déjà attaqué la « faiblesse » de son adversaire démocrate, alors que les forces américaines au Moyen-Orient ont subi de très nombreuses attaques depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas. M. Biden répète toutefois ne pas vouloir d’escalade régionale ni de conflit ouvert avec l’Iran.
Depuis la mi-octobre, plus de 165 frappes de drones et tirs de roquettes ont visé les forces américaines déployées avec une coalition internationale antidjihadiste en Irak et en Syrie, mais aucun militaire américain n’avait été tué jusqu’à l’attaque de dimanche en Jordanie.