De tous les grands prédateurs, l’humain est assurément le plus vorace. Depuis des siècles, nous éliminons méthodiquement nos plus grands concurrents. Mais l’histoire offre parfois de jolis pieds de nez. Alors que nos excès menacent de rendre la planète inhabitable, les écologues proposent de faire appel aux grands prédateurs pour nous aider à sauver ce qui peut encore l’être. Ils avancent pour argument les effets parfois spectaculaires constatés après le retour de ces animaux installés au sommet de la chaîne alimentaire.
Exemple emblématique, la croissance des populations de loups dans le parc de Yellowstone, aux Etats-Unis, s’est accompagnée d’une augmentation du couvert végétal et d’une stabilisation des berges. Motif avancé : ils dévorent les wapitis. Or, ces charmants cervidés, s’ils ne sont pas maîtrisés, broutent tout sur leur passage, pousses et racines comprises. « Il manquait toutefois des expériences contrôlées pour apporter la preuve de cet effet de cascade », écrit l’écologue suédois Johan Eklöf, dans un article de commentaire publié dans la revue Nature du 31 janvier.
C’est désormais chose faite grâce à un autre animal, iconique aux Etats-Unis : la loutre de mer. Et avec, dans le rôle du wapiti, un petit crabe rayé nommé Pachygrapsus crassipes. Dans le même numéro de Nature, une équipe américaine publie une étude qui démontre comment le retour du mustélidé dans un marais salant de Californie a permis d’enrayer la dégradation de l’écosystème, en dépit des pressions continues infligées par les humains. La revue y consacre même sa « une ».
Un stabilisateur de rives gratuit
Plus petit mammifère marin de la planète, la loutre de mer a longtemps peuplé l’ensemble des zones côtières américaines, jusqu’à ce que l’industrie de la fourrure la décime, à partir du XVIIIe siècle. En Californie, seul un petit groupe résistait sur la côte de Big Sur. Au milieu des années 1980, profitant des mesures de protection, quelques individus sont revenus dans l’estuaire d’Elkhorn Slough. A la fin des années 2000, elles étaient plus d’une centaine.
L’équipe de Brian Silliman, à l’université Duke, y a vu le terrain idéal pour vérifier ce que Brent Hughes, premier signataire de l’article, désormais chercheur à l’université Sonoma, nomme l’« effet grand prédateur ». Très grand prédateur, même. La loutre ingère, chaque jour, plus de 20 % de son poids, avec une préférence affirmée pour le crabe P. crassipes. Or, ce cher crustacé est un véritable poison pour les berges : d’un côté, il y creuse des terriers, de l’autre, il dévore les salicornes, stabilisatrices avérées des rives.
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