La Banque centrale européenne (BCE) a-t-elle un « problème Lagarde » ? Une bonne partie des salariés de l’institution de Francfort en semblent persuadés. Ils ont remis le 22 janvier un rapport interne ravageur, qui juge la présidente de la BCE à la fois cassante avec ses salariés et incompétente dans son rôle de politique monétaire. Ils l’accusent tous azimuts de ne pas maîtriser la technicité de son rôle, de favoriser son autopromotion avant tout le reste, et de pratiquer un double langage hypocrite, en prêchant l’ouverture et la diversité tout en réduisant au silence les voix dissonantes.
Le rapport repose sur les résultats, désastreux pour Christine Lagarde, d’un sondage interne mené par le syndicat IPSO, auquel ont répondu 1 159 salariés de la BCE (près du quart d’entre eux). La moitié (50,6 %) estime que la Française réalise un « mauvais » ou « très mauvais » travail, contre 23 % qui le jugent « bon », « très bon » ou « exceptionnel ». Près des deux tiers estiment qu’elle a dégradé l’image de la BCE, contre seuls 20 % qui pensent l’inverse.
Les prédécesseurs de Christine Lagarde, Jean-Claude Trichet et Mario Draghi, avaient aussi eu maille à partir avec leurs salariés. Le syndicat IPSO avait mené des sondages équivalents à la fin de leur mandat, révélant un ras-le-bol des salariés. Le premier était considéré comme arrogant et cassant, le second lointain et peu intéressé par les questions de ressources humaines. Mais cet écueil, concernant la gestion interne de l’institution, est difficile à éviter : les deux hommes étaient happés par leur travail de politique monétaire, ce qui ne leur laissait guère de temps ou d’envie de s’occuper de la gestion du personnel. A cet égard, Christine Lagarde est à peu près logée à la même enseigne.
C’est sur la compétence de l’actuelle présidente que les résultats diffèrent. Jean-Claude Trichet et Mario Draghi voyaient leur travail de politique monétaire globalement salué par les employés. Ce n’est pas le cas pour Mme Lagarde. Or, ce jugement sévère vient de techniciens pointus, à savoir l’armée d’économistes, bardés de diplômes, qui composent le personnel de l’institution.
Contre-attaque
La présidente de la BCE n’est pas économiste, mais juriste de formation. Elle a certes été ministre de l’économie et directrice du Fonds monétaire international, mais cette lacune l’accable comme une pierre autour du cou depuis sa prise de fonctions, fin 2019. Le petit milieu des banquiers centraux et de ses spécialistes, très masculin, surveille de près le moindre dérapage. Or, il y en a eu plusieurs. Le plus connu, prononcé début 2020, a été cette petite phrase : « Nous ne sommes pas là pour resserrer les spreads [l’écart entre les taux allemands et ceux des autres pays]. » Cette déclaration avait fait tanguer les marchés, et il avait fallu apporter une « clarification » dans la foulée.
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