Le nouveau ministre entend « raser les bastilles » judiciaires héritées de la guerre d’Algérie, qui lui vaudront bientôt le titre de « ministre le plus impopulaire du gouvernement » (Le Progrès, 15 janvier 1982), mais le sentiment se retourne progressivement, jusqu’au sondage, publié par Le Parisien le 7 novembre 1985, qui assure que 44 % des Français souhaitent que Robert Badinter conserve le ministère de la justice. Le garde des sceaux aura marqué son époque, et aucun de ses successeurs à la chancellerie n’aura engagé autant de réformes.
Il s’agissait d’abord pour le nouveau ministre d’abolir les juridictions d’exception : la Cour de sûreté de l’Etat (loi du 4 août 1981), les six tribunaux permanents des forces armées (21 juillet 1982), la loi anticasseurs (23 décembre 1981), la loi « sécurité et liberté » (10 juin 1983). Il a obtenu la dépénalisation de l’homosexualité, en mettant fin à une loi de Vichy qui établissait la majorité sexuelle à 18 ans pour les homosexuels contre 15 ans pour les hétérosexuels (4 août 1982). Et bien sûr, l’abolition de la peine de mort (9 octobre 1981), puis la ratification du protocole n° 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit son rétablissement (17 février 1986).
Défense des victimes
La grande affaire de l’avocat est naturellement la promotion des droits et la défense des victimes. Un décret du 9 octobre 1981 permet aux simples citoyens de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, dont les décisions s’imposent à la justice française. Il crée en septembre 1982 un bureau d’aide aux victimes à la chancellerie, puis facilite l’accès à l’aide judiciaire en permettant aux justiciables les plus défavorisés de choisir leur avocat commis d’office, avec une indemnisation pour leur défenseur (loi du 31 décembre 1982).
L’année suivante, le budget de la chancellerie comprend pour la première fois des subventions aux associations d’aide aux victimes, puis prévoit leur indemnisation en cas d’attentat (8 juillet 1983) et d’accident de la route (5 juillet 1985). L’édifice est chapeauté par la création de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation, le 20 janvier 1986. En matière civile, l’égalité des régimes matrimoniaux est consacrée le 23 décembre 1985 ; il devient possible, à titre d’usage, de joindre à l’enfant le nom du parent qui n’a pas transmis le sien.
Robert Badinter se penche aussi très vite sur le sort des détenus. Les très décriés quartiers de haute sécurité sont supprimés par décret du 26 février 1982, les parloirs libres, sans séparation ni hygiaphone, autorisés par celui du 26 janvier 1983. Il crée pour les petites peines, et comme alternative à l’enfermement, les travaux d’intérêt général, dont le succès va croissant – 30 000 postes sont prévus pour 2022.
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