Engoncé dans une doudoune bleu marine, il se tient droit face à la barre du tribunal correctionnel de Brest (Finistère). Cet agriculteur de 57 ans s’agace de sa convocation, ce vendredi 2 février, pour maltraitance animale. Deuxième plus important éleveur porcin du Finistère, Dominique Kerdoncuff jure « aimer » les 20 000 bêtes qu’il engraisse, chaque année. Oui, mais voilà, la présidente du tribunal tique. Comment expliquer les animaux blessés, les installations défectueuses… ainsi que les 8 934 infractions relevées par la direction départementale de la protection des populations (DDPP) lors de son contrôle en novembre 2019 ?
Dominique Kerdoncuff dénonce « l’acharnement » de la justice (qui l’a condamné vendredi 1er mars à 120 000 euros d’amende) mais aussi de l’association de protection animale L214. C’est elle qui a lancé l’alerte, fin 2019, en postant sur Internet des vidéos et des photos captées à l’intérieur de fermes du prévenu.
« Sans ces signalements, ces exploitations n’auraient pas été contrôlées », avertit Caroline Lanty, l’avocate de L214. Pour les membres de l’association, l’affaire illustre les dérives du système agricole intensif. Ils sont nombreux à avoir dénoncé ses défaillances environnementales, économiques et sociales.
Le Monde a reconstitué une partie de la mosaïque de ces lanceurs d’alerte pour retracer la contre-histoire du productivisme agricole, ce modèle devenu dominant après la seconde guerre mondiale. A l’époque, la France a faim. Alors, il faut produire coûte que coûte à moindre prix.
En quelques années, les exploitations s’agrandissent, mais leur nombre s’effondre. Les paysans deviennent des chefs d’entreprise encouragés à se spécialiser, à optimiser leurs rendements, à s’équiper pour mobiliser moins de main-d’œuvre… Pour être compétitive, l’agriculture française s’engage dans des ballets d’exportations et d’importations. L’avènement de l’industrie agroalimentaire, de la grande distribution et de la politique agricole commune (PAC) métamorphose et complexifie encore davantage le modèle intensif.
Face à ce rouleau compresseur, des esprits critiques refusent la voie tracée. Souvent esseulés, beaucoup se sont essoufflés et ont abandonné leur combat. « Les lanceurs d’alerte ont toujours dérangé les lobbys des semenciers, des industriels ou de tous ces produits terminant en “cide” (herbicides, fongicides, insecticides). Ceux-là n’ont eu de cesse de les stigmatiser et les marginaliser », analyse Marc Dufumier, professeur honoraire à ParisAgroTech.
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