L’ONG française Begum Organization for Women vient de lancer une chaîne de télévision, Begum TV, diffusée par satellite depuis Paris à destination des collégiennes et lycéennes afghanes privées d’éducation. Unique en son genre, cette chaîne propose notamment des cours en vidéo reprenant le cursus scolaire afghan de la sixième à la terminale, en langues dari et pachto.
« 5, 4, 3, 2, 1, live ! », lance Sadaf. « Salam ! Aujourd’hui, nous allons vous parler des violences faites aux femmes », enchaîne avec aplomb Marina en studio.
C’est à Paris que ces journalistes réfugiées trouvent un nouveau sens à leur vie en lançant Begum TV, pour redonner un « visage » et de l’espoir à leur « sœurs » en Afghanistan.
Dans ce studio situé dans le nord de la capitale française, Marina Golbahari, célèbre actrice afghane devenue présentatrice de Begum TV, débat sur le plateau du sujet du jour avec une journaliste afghane également en exil, Diba Akbari.
Derrière la vitre, Sadaf Rahimi, carré court et visage concentré, elle aussi journaliste, est aux manettes de la table d’enregistrement.
L’ONG française Begum Organization for Women (BOW) vient de lancer cette chaîne de télévision éducative, diffusant par satellite depuis Paris. Unique en son genre, elle propose en continu et gratuitement des cours en vidéo reprenant le cursus scolaire afghan de la sixième à la terminale, en langues dari et pachto (plus de 8 500 vidéos), à destination des collégiennes et lycéennes privées d’éducation.
Car depuis leur retour au pouvoir en août 2021, les autorités talibanes ont imposé leur interprétation restrictive de la loi islamique, multipliant les mesures liberticides envers les femmes.
Elles ont exclu les femmes des établissements d’enseignement secondaire et des universités, faisant de l’Afghanistan le seul pays au monde où l’éducation des filles est interdite après l’école primaire.
« Le but, c’est d’apporter l’école et le savoir à la maison, de l’information, et aussi un peu de joie et de divertissement pour permettre aux femmes de panser leurs plaies, d’adoucir leur vie » dans un Afghanistan rendu exsangue par plus de quatre décennies de conflits meurtriers, explique à l’AFP Hamida Aman, fondatrice de Begum TV, regard vert grave et lumineux à la fois.
Une dizaine de personnes – en majorité des femmes – travaillent dans une grande pièce sur la partie administrative et financière du projet, le contenu pédagogique, les relations avec les donateurs.
Des rires fusent aux plaisanteries espiègles de Hamida Aman, qui supervise l’équipe avec énergie.
Des photos d’Afghanistan montrant des fillettes en burqa côtoient des bouquets, une trousse à maquillage et un Thermos de thé vert, populaire en Afghanistan.
En plus des cours, la chaîne diffuse en soirée un « prime time » quotidien de trois heures, dont un talk-show de vulgarisation médicale qui donne des conseils de santé et le talk-show « Tabassoum » (« sourire », en dari).
Animé par Diba, 25 ans, et Marina, qui ne portent pas le voile, « Tabassoum » est axé sur la santé mentale et le bien-être, en collaboration avec des psychologues à Kaboul et à Paris qui répondent aux questions de téléspectatrices anonymes.
« Ce soir, nous allons parler des différents types de violences que rencontrent les femmes en Afghanistan : physiques et psychiques », explique en plateau Diba, en robe courte, son teint diaphane illuminé sous les spots.
La journaliste poursuit en dénonçant la condition de beaucoup d’Afghanes : « On épouse une femme et on la met dans un coin ; on la cantonne aux tâches domestiques et son seul projet dans la vie, c’est d’enfanter ! Mais l’empêcher de continuer à étudier et à se former, c’est une violence ! »
« Une fenêtre »
« À travers nos programmes, on fait de notre mieux pour apporter des réponses concrètes aux femmes sur leurs problèmes familiaux ou psychologiques, pour qu’elles ne baissent pas les bras, qu’elles restent fortes ensemble », explique Diba à l’AFP.
Une liberté de ton que permet le fait de diffuser depuis Paris. « Nous pouvons parler de sujets bien plus variés et sans tabous », souligne Hamida Aman.
Elle rappelle que « les parcs, les jardins, les salons de coiffure et de beauté, les salles de sport sont désormais interdits aux femmes en Afghanistan ; tout le monde extérieur leur est fermé… Pour nous, le seul moyen pour faire résonner leur voix et communiquer avec elles, c’est à travers les médias. »
Hamida Aman souligne que « plus de 85 % des foyers afghans possèdent une télévision et une connexion satellite, c’est le moyen de toucher les foyers. »
Elle espère que la chaîne soit pour les téléspectatrices une « fenêtre et une manière pour elles de respirer ».
Pour les journalistes et animatrices à Paris, Begum TV représente des opportunités inespérées.
« Elles sont pour la plupart très esseulées loin de leurs familles. Ce lieu leur donne un ancrage, où elles retrouvent un peu de l’Afghanistan », relève Hamida Aman. « C’est l’occasion pour elles de redevenir des journalistes, d’avoir une activité digne, qui leur fasse retrouver le sourire tout en leur permettant d’aider leurs sœurs en détresse. »
Marina Golbahari, réfugiée depuis huit ans en France, au parcours de vie éprouvant, ne se départit pas en effet de son immense sourire.
« J’ai l’impression que c’est ma maison ici, et que je me suis trouvée dans ce nouveau travail… », lâche-t-elle. « Je suis tellement heureuse aussi parce que je sais que ça apporte un peu de soulagement aux femmes afghanes. »
Réfugiée en France depuis décembre 2022, Diba a vécu plus d’un an sous les nouvelles autorités talibanes, une « expérience terrifiante » après laquelle il a fallu « se reconstruire ».
Elle mesure la « chance incroyable » d’avoir été engagée à Begum TV. « Quand je rencontre mes collègues et que je me concentre sur mon travail, j’ai l’impression d’avoir repris le cours de ma vie », résume-t-elle d’un trait.
Cela fait 20 ans que Hamida Aman mène des projets en Afghanistan. Elle s’y rend toujours très régulièrement.
« Nulle part au monde, on a ce projet-là de société » pour les femmes, déplore-t-elle. « C’est parfois difficile de garder espoir quand on voit les contraintes aberrantes qui s’accumulent. »
« Mais à chaque voyage, je vois toutes ces jeunes filles qui ont l’âge de mes enfants et qu’on prive d’éducation, et là, ça me rappelle pourquoi je me bats… Ça alimente la machine », lance-t-elle avec émotion.
Avec AFP