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En France, l'euphorie naissante pour le cannabis à usage médical

Fin mars 2021, une expérimentation à grande échelle du cannabis thérapeutique était lancée en France, permettant à plusieurs milliers de patients souffrant de maladies graves d’intégrer cette drogue à leur traitement. Alors que ce test a pris fin le 27 mars et que les autorités sanitaires envisagent désormais une mise sur le marché en 2025, certains reviennent sur leur expérience.

En 1992, un premier diagnostic tombe pour Valérie Vedere. Alors âgée de 32 ans, elle apprend être atteinte du sida. Vingt ans plus tard, en 2012, elle découvre souffrir d’un cancer à la gorge. Depuis, son quotidien est rythmé par la douleur liée à la radiothérapie et aux traitements antirétroviraux contre le VIH.

Alors lorsque la France annonce, en 2021, vouloir lancer une grande expérimentation nationale visant à tester l’utilisation du cannabis médical pour les patients atteints de maladie grave, Valérie Vedere est bien déterminée à y participer. Elle parvient à persuader son médecin qu’elle est une candidate parfaite pour l’essai et intègre l’expérience en mai 2021, deux mois après son lancement.

« J’avais déjà utilisé le cannabis pour soulager mes symptômes de manière illégale. Désormais, je peux le faire en toute légalité et bénéficier d’un suivi régulier de la part de mon médecin », explique cette Bordelaise aujourd’hui âgée de 58 ans.

« Je m’en sers pour calmer la sensation de brûlure que me procure la radiothérapie », poursuit-elle. « Mais j’ai aussi des douleurs dues aux traitements antirétroviraux contre le VIH. J’ai régulièrement l’impression que mes mains et mes pieds sont pris dans un étau, avec des sensations de brûlure et de picotements extrêmes. J’ai également des spasmes musculaires qui surviennent généralement en fin de journée. » Une douleur chronique qui, selon elle, ne peut être traitée par des antalgiques opioïdes comme le tramadol ou la morphine, responsables de nombreux effets indésirables. « Ce n’est pas une solution à long terme », insiste-t-elle.

« J’ai essayé toutes sortes de traitements »

Comme Valérie, Mylène, une Parisienne de 26 ans, a essayé une longue liste de médicaments pour combattre ses céphalées – des maux de tête forts et persistants – avant de se tourner vers le cannabis thérapeutique. « Elles sont brutales. La douleur est permanente, sept jours sur sept. Je n’ai pas eu de répit depuis que ça a commencé, en 2014 », témoigne-t-elle. « Et parfois, j’ai des crises particulièrement douloureuses, comme si deux parpaings étaient pressés contre ma tête. »

« J’ai essayé toutes sortes de traitements. Paracétamol, ibuprofène, opioïdes comme le tramadol et même la morphine. Soit les médicaments n’avaient pas d’effet sur moi, soit les effets secondaires étaient trop intenses », poursuit cette jeune radiologue. « J’ai donc rejoint l’essai thérapeutique fin décembre 2023 et j’ai commencé à prendre des gouttelettes de cannabis médical matin et soir. Cela fait presque trois mois et je commence déjà à ressentir un soulagement. Je sens que ça commence vraiment à faire effet. »

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Un pas en avant vers la légalisation du cannabis thérapeutique

À l’image des deux femmes, les premiers résultats de cette expérimentation, publiés en 2023, montrent des résultats prometteurs. En majorité, les patients estiment que leurs symptômes se sont améliorés, sans effets secondaires inattendus. Aucun cas de toxicomanie ou d’addiction n’est signalé.

Dans le détail, les rapports de près de 2 500 patients – sur les plus de 3 000 qui auront participé à l’expérimentation – ont été étudiés. La moitié d’entre eux étaient traités pour des douleurs neuropathiques, 12 % pour des douleurs liées à la sclérose en plaques, 12 % en situations palliatives ou encore 8 % pour des symptômes liés au cancer. Un tiers des patients ont déclaré une amélioration globale et stable de leur état de santé, un tiers une baisse importante voire très importante des douleurs, et un tiers une faible ou aucune amélioration.

« Nos évaluations montrent qu’entre 30 et 40 % des symptômes comme la douleur, les spasmes, la qualité de vie ou les crises d’épilepsie, par exemple, se sont améliorés de manière significative », résume Nicolas Authier, médecin spécialisé en pharmacologie, toxicomanie et douleur, président du comité scientifique chargé du suivi de l’essai sur le cannabis médical.

Devant ces résultats, et alors que l’expérimentation a officiellement touché à sa fin le 27 mars, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a promis le 20 février que les traitements à base de cannabis médical seraient disponibles en France en 2025. « La fin de l’expérimentation et la mise à disposition pour 2025 des médicaments à base de cannabis se préparent », a-t-elle annoncé dans un communiqué.

« Les médicaments à base de cannabis sont actuellement délivrés dans les hôpitaux ou dans les pharmacies hospitalières, mais à terme, la plupart d’entre eux seront aussi disponibles dans les pharmacies ordinaires, comme n’importe quel autre médicament », précise Nicolas Authier.

Pour ce faire, l’ANSM a jusqu’au 31 décembre 2024 pour autoriser sur le marché les produits à base de cannabis approuvés pour un usage médical. Mais des questions restent encore à trancher, comme le prix du médicament et son remboursement.

Par ailleurs, fin 2023, le gouvernement avait donné un statut particulier au cannabis thérapeutique en l’intégrant à la loi de financement de la sécurité sociale. Ce dernier stipule que l’ANSM peut autoriser la vente de médicaments à base de cannabis sans attendre une éventuelle autorisation de l’Union européenne, mais ces autorisations ne seront valables que pour une période de cinq ans, renouvelable.

Dans l’attente, les 1 842 patients qui sont encore aujourd’hui sous cannabis thérapeutique dans le cadre de l’expérimentation pourront poursuivre leur traitement. En revanche, plus aucun nouveau participant ne pourra rejoindre l’essai.

Les fleurs de cannabis exclues

Au cours des trois années d’expérimentation, les patients ont par ailleurs pu, en fonction de leur état de santé, être traités avec du cannabis thérapeutique sous forme d’huile, prise par voie orale, ou sous forme de fleurs séchées, inhalées dans des vaporisateurs.

En fonction de leur forme, les médicaments à base de cannabis contiennent en effet des degrés variables de THC et de CBD, les deux principaux composés de la plante connus sous le nom de cannabinoïdes. Le THC est le principal composé psychoactif, c’est-à-dire qu’il est responsable de la sensation d’euphorie typique de l’herbe que les consommateurs peuvent ressentir, mais c’est lui aussi qui est le plus efficace pour lutter contre la douleur. Le CBD, le deuxième composé le plus répandu dans le cannabis, est lui aussi psychoactif mais n’a pas le même effet enivrant que le THC.

« La majorité des patients recevaient des médicaments sous forme d’huile car c’est le traitement qui a l’effet le plus durable », explique Nicolas Authier. « Mais il n’empêche pas les pics de douleur sévère. Nous avons donc parfois ajouté des fleurs de cannabis séchées que les patients pouvaient inhaler. Les effets durent moins longtemps mais sont très rapides. »

L’ANSM a cependant décidé d’exclure de la procédure de légalisation le cannabis thérapeutique sous forme de fleurs. « Je n’étais pas à la réunion de médiation lorsque cette décision a été prise, je ne peux donc pas dire avec certitude pourquoi », explique Nicolas Authier. « Il semble que la fleur de cannabis médical ressemble trop à la fleur de cannabis consommée à des fins [récréatives]. Cela pourrait donc prêter à confusion et peut-être susciter des craintes autour d’un éventuel marché noir. » « Un argument très discutable », ajoute-t-il, peu convaincu.

Pour Valérie Vedere, les huiles comme les fleurs sont pourtant « indispensables ». Furieuse de la décision de ne plus prescrire de cannabis médical sous forme fleurs séchées, elle a écrit une lettre ouverte au ministère français de la Santé pour demander des explications.

« Je ne veux pas prendre d’opioïdes. Quand j’ai des crises de douleur soudaines, les fleurs sont la seule chose qui me soulage », explique-t-elle. « Je vais donc continuer à utiliser l’huile qui m’a été prescrite mais j’achèterai aussi illégalement des fleurs séchées. »

L’industrie retient son souffle

Au total, Nicolas Authier estime qu’entre 150 000 et 300 000 personnes pourraient se voir prescrire des médicaments à base de cannabis en France. Toute une industrie retient ainsi son souffle dans l’attente de leur autorisation. Selon Le Monde, la France pourrait en effet devenir, avec l’Allemagne, le plus grand marché du cannabis médical en Europe.

Mais si l’opinion publique évolue sur le sujet – 91 % des Français se déclarent favorables à la prescription de médicaments à base de cannabis « pour certaines maladies graves ou chroniques », selon une enquête réalisée en 2019 par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives –, le cannabis reste encore très lié à l’image négative des stupéfiants, notamment parmi les responsables politiques et médicaux, regrette Nicolas Authier.

Il y a quelques jours, lors d’une audition au Sénat sur l’impact du trafic de drogue en France, le ministre des Finances Bruno le Maire a ainsi réitéré son refus de la dépénaliser. « Le cannabis, c’est cool, la cocaïne, c’est chic. C’est la représentation sociale des drogues », a-t-il déclaré. « Mais en réalité, ce sont deux poisons. Elles sont toutes deux destructrices et contribuent à miner la société française dans son ensemble. »

Parmi les opposants au projet, certains dénoncent ainsi régulièrement un processus qui amènerait inévitablement à la légalisation du cannabis pour un usage récréatif. « Notre objectif a toujours été l’accessibilité. Faire en sorte que les patients aient accès à ces médicaments et que les médecins les prescrivent », rétorque Nicolas Authier. « Il ne s’est jamais agi, comme certains aiment à le croire, d’un cheval de Troie pour légaliser ensuite le cannabis à usage récréatif. Cela n’a absolument rien à voir avec notre essai. Les médicaments à base d’opium existent sans que l’héroïne soit légalisée. »

La France reste aujourd’hui l’un des plus gros consommateurs de cannabis en Europe, avec l’une des législations les plus sévères sur le sujet. Le THC est toujours considéré comme un stupéfiant et le taux maximal autorisé dans une plante de cannabis est limité à 0,3 %. Le CBD, quant à lui, est légal tant que la plante de cannabis ne dépasse pas les niveaux autorisés de THC.

La Californie a été la première à légaliser le cannabis médical en 1996. Le Colorado a suivi quatre ans plus tard, en 2000, puis le Canada en 2001, les Pays-Bas en 2003, Israël en 2006, l’Italie en 2013 et l’Allemagne en 2017. À ce jour, une vingtaine de pays européens ont rejoint la liste, chacun avec ses propres règles et restrictions. En comparaison, il aura fallu attendre 2018 pour que des discussions sérieuses sur le cannabis médical émergent dans l’Hexagone. Et il a fallu attendre encore trois ans pour que l’essai commence, en 2021.

« Lorsque j’ai été acceptée comme participante à l’expérimentation il y a quelques mois, je me suis dit ‘enfin' », conclut Mylène. « Je vois qu’il y a un vrai pas en avant et j’espère que ça va continuer. J’espère qu’il sera plus facilement accessible afin que le plus grand nombre possible de personnes puissent être traitées. »

Cet article a été adapté de l’anglais par Cyrielle Cabot. L’original est à retrouver ici.


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