Une plongée dans le sol et dans le passé. C’est à un fascinant voyage dans le temps, qu’ils n’effectuent eux-mêmes que tous les cinq ans, que les archéologues Cyril Marcigny (Institut national de recherches archéologiques préventives, Inrap) et Laurent Dujardin (Centre de recherches archéologiques et historiques anciennes et médiévales) nous ont conviés. Nous sommes quelque part dans un lotissement pavillonnaire de Fleury-sur-Orne (Calvados), à la sortie sud de Caen. Un puits d’où dépasse une échelle. On y glisse une douzaine de mètres plus bas, équipé d’un baudrier et assuré par les membres de l’équipe spéléologique d’Hérouville.
Au fond, le noir et la boue. Le clapotis des gouttes, issues des pluies d’hiver, qui traversent le plafond de pierre. Un labyrinthe souterrain, 2 hectares de carrière où, à partir du 6 juin 1944, se sont réfugiés des centaines de Caennais chassés par les bombardements alliés qui accompagnaient le Débarquement. Pendant presque deux mois, cette carrière, dont le calcaire blanc n’était plus exploité et qui servait de lieu de stockage à la brasserie Saingt, sera leur abri, leur épreuve, leur salut. Jusqu’à une évacuation précipitée fin juillet 1944, lors de laquelle ils laisseront les restes de leur présence, certaines de leurs affaires et aussi leurs déchets. Désaffectée aussitôt après la Libération, la carrière Saingt n’a pour ainsi dire pas été perturbée. Leur mémoire de l’événement est restée figée au sol, paradis pour les archéologues qui en ont fait un conservatoire et un laboratoire de leurs méthodes.
Il faut marcher en file indienne en évitant soigneusement toutes les « unités d’occupation », ces espaces rectangulaires accolés aux parois, où se sont installées les familles il y a huit décennies. Des fers à béton s’élèvent çà et là, qui « ont été plantés par les réfugiés pour délimiter leur espace de vie ou pour maintenir des marches en bois qui ont pour la plupart disparu. Les endroits les plus écrasés sont ceux où ils dormaient, sur de la paille », précisent les archéologues. Un des derniers témoins vivants, Yvette Lethimonnier, a raconté aux chercheurs que « son plus mauvais souvenir, c’était quand sa famille et elle se couchaient et qu’ils touchaient avec leurs pieds les pieds de la famille voisine », dit Cyril Marcigny.
« Très vite, ajoute-t-il, une organisation interne s’est mise en place, pour le ravitaillement et la cuisine, qui ne pouvait se faire qu’à l’extérieur. » A l’écart, dans cette carrière souterraine, on trouvait les latrines et un espace pour la boucherie. Pour la boisson, les réfugiés, qui ont été jusqu’à un millier, avaient à leur disposition l’eau du puits de la brasserie et ses bouteilles de bière, dont on retrouve à foison les cadavres et les bouchons de porcelaine.
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