A la question « Comment vous présentez-vous désormais ? », Larissa Mies Bombardi répond simplement « je suis géographe ». Longtemps professeur à la prestigieuse université de Sao Paulo (Brésil), cette chercheuse de 52 ans ajoute n’avoir eu de cesse, pendant sa vie académique, « d’étudier les questions agraires, agricoles et les mouvements sociaux dans les campagnes ».
Ce rapide curriculum vitae nécessite toutefois une précision de taille : la vie de cette scientifique brésilienne a littéralement volé en éclats en 2019. Très précisément le lundi 29 avril, jour où a été publiée sa recherche de 263 pages, en anglais, intitulée « A Geography of Agrotoxins Use in Brazil and its Relations to the European Union » (« une géographie de l’utilisation des agrotoxines au Brésil et ses relations avec l’Union européenne »). Dans ce document, 150 cartes illustrent avec minutie les différentes zones (région, commune…) où des Brésiliens ont été exposés ces dernières décennies à des niveaux critiques de pesticides. D’autres schémas montrent les exportations brésiliennes vers l’Europe d’aliments (brocolis, melons…) cultivés avec des pesticides interdits dans l’Union européenne. « Un mécanisme appelé “cercle d’empoisonnement” », précise-t-elle.
Véritable atlas grand public par sa lisibilité, ce travail académique va faire de cette chercheuse l’« un des défenseurs des droits de l’homme les plus menacés au Brésil en 2021 », selon l’ONG Human Rights Watch. Il va aussi la contraindre, in fine, à s’exiler en France avec ses deux jeunes enfants. « Elle a dû faire preuve d’une résilience hors du commun », témoigne la socioéconomiste Isabelle Hillenkamp. Cette dernière, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), va devenir un temps sa référente scientifique à Paris dans le cadre du programme Pause (programme d’accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exil). Un tourbillon que Larissa Mies Bombardi n’avait pas imaginé au tout début de son parcours… il y a tout juste trente-deux ans.
Enquêtes de terrain « ethnographiques »
Retour à l’année 1992. Pur produit de la ville, fille d’un père mécanicien et d’une mère éditrice, Larissa Mies Bombardi doit son choix d’orientation académique à un voyage en bus de 2 000 kilomètres, lors de ses 20 ans, organisé en Amazonie par un « génial » professeur de géographie. « Je m’attendais à de la forêt vierge, j’ai découvert les déforestations, les incendies. J’ai entendu parler de violences et ai compris que toute dévastation environnementale est précédée d’une dévastation humaine », raconte-t-elle. C’est décidé, elle veut étudier « la question agraire ». Une fois à l’université, un de ses professeurs lui suggère de se concentrer sur la région de Campinas, au nord de Sao Paulo. Elle ne le sait pas encore, mais ce petit territoire de 16 000 hectares va lui permettre de documenter avec précision et force enquêtes de terrain « ethnographiques », dit-elle, la dégradation des conditions de vie en zone rurale durant ces trois dernières décennies au Brésil.
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