Les Européens vont-ils devoir se passer de café éthiopien ? Le pays de la Corne de l’Afrique où, selon la légende, les cerises de café ont été découvertes il y a mille ans et où leur culture s’est généralisée à partir du XVIe siècle, pourrait sévèrement pâtir de la nouvelle réglementation de l’Union européenne (UE) visant à lutter contre la déforestation dans le monde, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2025.
La loi, votée à Bruxelles en 2023, cible particulièrement les cultures de soja et d’huile de palme, identifiées comme les deux plus grands fléaux pour les forêts tropicales. Mais dans quelques mois, elle obligera aussi les importateurs de café à démontrer que leurs chaînes d’approvisionnement ne contribuent pas à la déforestation, données satellitaires et coordonnées géographiques à l’appui.
Cette réglementation inquiète tout particulièrement dans le Kaffa, région d’origine du café qui a donné son nom à la boisson, et dans l’ensemble du sud de l’Ethiopie. Pour les quelque 5 millions de petits exploitants, fournir des relevés géographiques précis est une gageure : la couverture Internet est faible dans les villages, le cadastre inexistant et les conflits fonciers sont légion. D’après plusieurs diplomates et exportateurs éthiopiens, les démarches à entreprendre pour se conformer aux nouvelles normes européennes pourraient prendre jusqu’à cinq ans.
Les acheteurs se détournent déjà
Environ 10 millions d’hectares de forêts ont disparu chaque année dans le monde entre 2015 et 2020, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Le Parlement européen estime pour sa part que la consommation de denrées alimentaires en Europe, en particulier d’huile de palme et de soja, équivaut à 10 % de la déforestation mondiale.
Mais la culture du café, elle, détruit peu les forêts éthiopiennes. « La grande majorité pousse en agroforesterie, quelques arbres sont abattus mais c’est marginal », assure un connaisseur, installé en Ethiopie depuis une décennie, qui souhaite rester anonyme. « Et 90 % des producteurs respectent la réglementation », estime-t-il, soulignant que peu d’intrants chimiques sont utilisés dans les plantations. Hélas, faute de pouvoir fournir ces informations nécessaires aux importateurs, les cultivateurs risquent de perdre leurs principaux clients.
En outre, l’UE demande une traçabilité complète entre le moment où les cerises sont récoltées et leur arrivée sur le sol européen. « Les récoltes de centaines d’exploitants sont mélangées lors du séchage, puis lors du lavage, et encore lors des différentes phases de revente et de transport. Dans un conteneur de café en route vers l’Europe, vous pouvez avoir des grains de mille producteurs, ce qui signifie qu’il faudrait fournir mille coordonnées GPS à l’arrivée en Europe », ironise Peter Horsten, conseiller au sein d’AgUnity, une plateforme d’aide aux petits exploitants des économies émergentes.
« Plus de la moitié des exportations éthiopiennes vers l’Europe sont à risque, poursuit-il. Les importateurs se tourneront vers des fermes au Brésil, par exemple, car là-bas il est plus simple d’effectuer le travail de traçabilité. » Si leurs importations ne respectent pas les nouvelles normes, les entreprises européennes s’exposent à de lourdes sanctions, représentant au moins 4 % de leur chiffre d’affaires réalisé au sein de l’UE. Résultat : les acheteurs se détournent déjà de l’Ethiopie. « Je ne vois pas comment acquérir d’importantes quantités de café éthiopien à l’avenir », confie Johannes Dengler, cadre chez le torréfacteur allemand Dallmayr, dans un entretien à Reuters.
Le pays peine à diversifier ses débouchés
Qualifié d’« or noir », le café fait l’objet d’un véritable culte en Ethiopie – les cérémonies du café sont omniprésentes – et son exportation génère d’immenses bénéfices financiers. Les cerises de café représentent le principal produit à l’export (37 % en valeur) et la première source de devises étrangères. Sa principale destination n’est autre que l’Europe.
« Nous ne souhaitons évidemment pas perdre la relation avec ce marché », rassure Adugna Debela, le directeur de l’Autorité éthiopienne du café et du thé. Si l’Ethiopie est un partenaire relativement marginal de l’UE (représentant moins de 5 % de ses importations), les devises en provenance d’Europe sont vitales pour Addis-Abeba, plongée dans une crise économique marquée par l’inflation et la pénurie de dollars.
Bruxelles a refusé d’accorder un délai au gouvernement éthiopien, poussant ce dernier à annoncer un plan de modernisation de sa filière café. Addis-Abeba aimerait le financer avec l’aide de partenaires internationaux. Une source au sein de l’UE indique, de manière anonyme, que des fonds en provenance de Bruxelles pourraient être alloués à la transition éthiopienne si le gouvernement d’Abiy Ahmed donnait des gages de bonne volonté : « L’Ethiopie est en retard, même par rapport aux autres acteurs africains. Elle n’a ni protégé, ni réglementé sa chaîne d’approvisionnement. Est-ce la faute des Européens ? »
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Devant l’inflexibilité de l’UE et le risque de voir chuter ses exportations, le pays de 120 millions d’habitants est dos au mur. Il peine à diversifier ses débouchés. Bien que la demande chinoise en café soit en forte croissance, elle concerne des productions de spécialité et de qualité supérieure, peu représentées en Ethiopie.
Le principal torréfacteur européen, le néerlandais JDE Peet’s, développe une technologie « qui combine images satellitaires et intelligence artificielle » pour déterminer depuis le ciel les grandes zones déforestées, ou non, avant 2020. Ce découpage territorial permettrait, en théorie, d’identifier les productions de café éligibles à l’exportation vers l’Europe et éviterait à l’Ethiopie d’entamer une lourde procédure de relevés manuels, qui prendrait plusieurs années. Ce système apparaît comme la dernière chance pour Addis-Abeba. Cependant, il n’a pas encore été étudié par les autorités européennes et pourrait effrayer les importateurs.