Livre. « Patron » : le mot peut être connoté de manière négative en France, contrairement au « boss » de la culture anglo-saxonne. Merci patron ! est d’ailleurs le titre d’un film documentaire truculent, réalisé en 2016 par François Ruffin, aujourd’hui député La France insoumise de la Somme et dont les analyses sur les dysfonctionnements du marché du travail sont désormais écoutées par les décideurs économiques. A l’époque rédacteur en chef de Fakir, un journal alternatif engagé à gauche implanté à Amiens, il avait tourné en ridicule le directeur des ressources humaines de Louis Vuitton-Moët Hennessy (LVMH), le plus important groupe de luxe mondial, dirigé par Bernard Arnault, lequel en avait pris ombrage.
Michel Offerlé, qui a longtemps enseigné la sociologie politique, reste à ce jour un des plus fins connaisseurs des arcanes du monde de l’entreprise. Il a notamment dirigé le livre collectif Patrons en France (La Découverte, 2017). Dans Patron (Anamosa, 112 pages, 9 euros), c’est à la fois la genèse du mot, ses significations dérivées et les fantasmes qu’il nourrit que l’auteur prend plaisir à décortiquer.
Dans la culture populaire française, le « petit patron » est souvent haï ; quant au « grand patron », il est voué aux gémonies. L’actualité récente le confirme avec les piques à l’encontre de Patrick Pouyanné, le tout-puissant directeur général de TotalEnergies, ou du patron de Stellantis, Carlos Tavares. Chaque fois, les critiques concernant leurs salaires mirobolants ou leurs stratégies économiques contestées l’emportent sur leurs succès personnels ou industriels. Il s’agit d’une méfiance instinctive à l’égard des puissants, héritée entre autres des écrits du socialiste libertaire Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) au XIXe siècle, qui demeure toujours vivace dans la vie sociale française.
Féminisation de la profession
Le politiste raconte d’ailleurs que, juste avant le passage au XXIe siècle, l’une des grandes obsessions d’Ernest-Antoine Seillière et de Denis Kessler, alors numéros un et deux du Centre national du patronat français a été de transformer le nom de l’institution en Mouvement des entreprises de France. Au terme honni de « patron » succédait celui, plus noble et plus neutre, d’« entrepreneur ». De fait, le fil qui sert de trame au mot « patron » est bien celui du désamour.
Et pourtant, il y a aussi la patronne ! Autrefois, la femme du patron était vouée aux œuvres sociales et pouvait être aussi la femme du commerçant qui tenait la caisse. Aujourd’hui, elle est la marque de la féminisation d’une profession qui était jusqu’à présent majoritairement masculine. Michel Offerlé traite par ailleurs du goût et des hobbys des patrons et de leur influence descendante sur la société.
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