L’exercice est intéressant, intrigant, parfois même surprenant pour le lecteur, comme il a dû l’être pour ceux qui s’y sont prêtés. Huit écrivains ont rencontré huit chercheurs en oncologie lors de tête-à-tête de soixante minutes qu’ils relatent ensuite dans une forme littéraire libre. Un exercice orchestré par la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer, à laquelle seront reversés les droits d’auteur de ce qui est devenu un livre. Les chercheurs ont été sélectionnés parmi les lauréats des prix Léopold Griffuel, attribués chaque année par la fondation pour des avancées majeures en cancérologie.
Plutôt que de brosser des portraits, les auteurs parlent de ce que la confrontation à ces scientifiques et à la maladie qu’ils explorent pour mieux la combattre réveille en eux. Faut-il s’étonner que la question de la mort et celle de l’éventualité d’une vie après soient revenues dans ces entretiens ? Chronométrées, avec l’irruption d’un Monsieur Loyal à la fin du temps imparti , les conversations semblent parfois avoir été interrompues avant même que la gêne liée à toute rencontre se dissipe. C’est moins brutal que le surveillant pénitentiaire qui met fin au parloir, mais le résultat est le même…
Olivier Delattre, de l’Institut Curie, connaît les silences troublés et les utilise pour dire et écouter au-delà des mots, lui qui doit parfois annoncer l’indicible à des parents. A Joy Sorman, autrice du Témoin (Flammarion, 288 pages, 21 euros), qui elle aussi guette la précision du verbe, le pédiatre explique qu’il s’agit « d’arriver à comprendre ce qu’a compris, ce que souhaite comprendre, ce que ne souhaite pas pour l’instant entendre l’autre ».
L’imprévu qui jaillit
Michael Taylor a surpris son interlocuteur, Denis Brogniart, le présentateur de « Koh-Lanta » qu’on ne savait pas romancier (Un soldat presque exemplaire, Flammarion, 2021), par son optimisme face à cette maladie protéiforme. « Nous sommes plus intelligents que le cancer, voilà pourquoi le temps de cette maladie sera bientôt derrière nous », affirme le chercheur franco-canadien qui reconnaît néanmoins pleurer parfois sur le chemin du retour à son domicile de Toronto.
Mais le propre d’une rencontre impromptue est l’imprévu qui en jaillit. A l’image de cet échange sur la littérature et Proust entre le Franco-Argentin Sebastian Amigorena, spécialiste de la reconnaissance immunitaire, et Véronique de Bure (Un clafoutis aux tomates cerises, Flammarion, 2017). Comme quand le chercheur dit prendre autant de plaisir que l’écrivaine dans l’écriture. Cette transmission de notions complexes (les résultats d’une expérience en laboratoire chez l’un, les sentiments chez l’autre) à laquelle la richesse des mots offre d’infinies possibilités.
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