Avec la nomination à Matignon de Michel Barnier, issu du camp LR, le RN est devenu « le faiseur de roi » de la vie politique française. Aux portes du pouvoir en juin, tenu en échec par le front républicain en juillet, il est parvenu à imposer en septembre à Emmanuel Macron la désignation d’un Premier ministre. En effet, Michel Barnier ne pourra gouverner que si le RN s’abstient de voter la censure contre son gouvernement. Le parti de Marine Le Pen détient la clé de sa survie au cours des prochains mois.
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Il est loin le temps du cordon sanitaire des législatives. En juin dernier, un barrage républicain avait écarté le Rassemblement national (RN) de Matignon par un jeu de désistements en cascade ayant permis d’éviter des triangulaires qui auraient été à l’avantage du parti de Jordan Bardella.
Largement en tête au soir du premier tour, le RN n’était finalement pas parvenu à obtenir une majorité relative, prenant toutefois la place de premier parti de France à l’Assemblée avec 126 députés, 142 avec leurs alliés emmenés par Éric Ciotti. Le « bloc » d’extrême droite était cependant distancé par celui du NFP (193 députés), et par le bloc central rassemblant la majorité présidentielle (166 députés). Avec 47 députés, les LR devenus Droite républicaine complétaient le tableau d’une Assemblée nationale totalement inédite.
En trois mois, le parti d’extrême droite qui semblait marginalisé le 7 juillet est parvenu à retourner la situation en attendant son heure. Exclu des intenses tractations politiques qui ont animé l’été, le RN a finalement offert à Emmanuel Macron une porte de sortie à la crise politique qu’il avait provoquée : la nomination d’un Premier ministre de droite qui « respecte » son électorat.
Un coup politique subtil. Le RN a su attendre que la coalition de gauche, frustrée de ne pas obtenir la nomination de Lucie Castets, rejette toute autre option pour imposer une solution qui lui donne un véritable pouvoir de vie et de mort sur le prochain gouvernement.
Les 193 députés du Nouveau front populaire ont annoncé vouloir censurer systématiquement. Il suffira alors qu’une centaine d’élus RN s’associent à eux, pour bloquer les mesures du gouvernement Barnier. « Du coup, le RN aura le pouvoir d’appuyer sur le bouton quand il veut pour destituer le Premier ministre nommé par Emmanuel Macron et faire tomber le gouvernement », commente Virginie Martin professeure de sciences politiques et sociologie à la Kedge Business School.
Le RN tempère son discours sur Michel Barnier
Un scénario pour le moment écarté par le parti d’extrême droite, qui a tempéré son discours à l’égard de Michel Barnier en moins de 24 heures. Quand dans la matinale de France inter, jeudi, le député Jean-Philippe Tanguy déplorait le choix de Michel Barnier qualifié de « fossile fossilisé de la vie politique » et « réputé dans tout Paris comme étant l’un des hommes politiques les plus stupides que la Ve République ait donnés », laissant entendre que le RN ne lui laisserait pas sa chance, le vice-président du parti Sébastien Chenu assurait, lui, « nous jugerons sur pièce », écartant donc l’option d’une censure de prime abord.
On apprendra plus tard que Marine Le Pen a été consultée par le président français pour s’assurer que le RN ne s’opposerait pas au choix Barnier. Dans la journée de jeudi, affirme Le Monde, « devant les parlementaires du RN, Jordan Bardella et Marine Le Pen ont expliqué les modalités de ce délai de grâce accordé à l’ancien ministre et commissaire européen. Et chacun a tancé, au passage, Jean-Philippe Tanguy pour sa tirade matinale contre le futur Premier ministre, jugée malvenue ».
Au fil de la journée, le discours s’est adouci, le député européen RN Thierry Mariani, finissant même par lâcher : « Il n’a jamais ostracisé personne, c’est un homme bien élevé et sans a priori ».
Les électeurs du RN vont-ils accepter le rapprochement avec la droite ?
Le parti d’extrême droite semble vouloir attendre pour « jouer de son moyen de pression » sur le futur gouvernement, estime Virginie Martin. « Il dispose de l’épée de Damoclès ». Mais à ce jeu, ses dirigeants prennent aussi des risques, analyse la politologue.
« Qu’est-ce que cela va donner si le RN donne l’impression de gouverner avec la droite, alors que ce parti part quand même d’une posture plus protestataire, plus sociale ? », questionne-t-elle. « Ses électeurs vont-ils lui rester fidèles alors que la sociologie électorale du RN est extrêmement populaire avec des profils peu diplômés, parmi les plus précaires ? Et ce d’autant plus que Michel Barnier va certainement adopter une ligne très austère économiquement. Or Marine Le Pen a toujours mis le pouvoir d’achat en avant, en tout cas depuis 2022 pour parler à son socle électoral très populaire ».
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Au contraire, Michel Barnier pourrait aussi attirer certains électeurs RN dans son camp. Il dispose de points communs avec le parti d’extrême droite, notamment sur l’immigration et la sécurité. L’ancien commissaire européen avait défendu des positions très fermes sur ces deux sujets dans son programme de 2021 à la primaire des Républicains. Il avait proposé un « moratoire » de trois à cinq ans sur l’immigration ou encore la possibilité de lancer un référendum sur la question. Mesure plébiscitée depuis des années par le RN.
La gauche vent debout
À gauche, la nomination de Michel Barnier et le rôle d’arbitre du RN font grincer des dents. « Le gouvernement Barnier est suspendu au bon vouloir du Rassemblement national », a dénoncé vendredi sur RTL la prétendante de l’alliance de gauche à Matignon Lucie Castets, dont la candidature a été écartée par Emmanuel Macron. « De fait le président de la République se place en cohabitation avec le Rassemblement national. »
Même indignation pour le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure qui avait dénoncé la veille un déni de démocratie. « C’est désormais l’extrême droite qui fait les rois ou les reines », a-t-il jugé sur France Inter.
Quant à La France insoumise, elle sera en tête des manifestations prévues ce samedi pour dénoncer ce qu’elle considère comme un « coup de force » d’Emmanuel Macron, aux côtés des communistes, des Verts, d’organisations de jeunesse, mais sans les syndicats ni le PS.