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Les opticiens, une exception française sous surveillance

Dans un magasin d’optique, à Rosporden (Finistère), le 21 mai.

Krys, Afflelou, Grand Optical, Optic Santé, Ecouter Voir… Dans la plupart des villes moyennes françaises, qui voient chaque année disparaître les commerces dans leur centre-ville, constellé de vitrines abandonnées, une catégorie d’enseignes continue d’écraser numériquement toutes les autres : les magasins d’optique, surreprésentés. Cette exceptionnelle densité d’opticiens est une spécialité bien française. Un magasin pour 5 400 habitants : ce taux est inégalé dans le monde. Et ce n’est pas fini ! Aujourd’hui encore, le déploiement de ces commerces se poursuit. Mais à un rythme beaucoup moins rapide qu’il y a une quinzaine d’années, où il s’en ouvrait plusieurs centaines chaque année.

« C’était une période no limit, se souvient un observateur du secteur. Les remboursements des complémentaires santé, qui étaient très généreux, voire sans aucune restriction pour certaines, encourageaient l’acquisition d’équipements onéreux. » Avec des marges tellement confortables pour les opticiens que certains magasins étaient viables en vendant moins de trois paires par jour.

« Anomalie économique »

Un phénomène qualifié, dès 2013, d’« anomalie économique » par le cabinet d’études Xerfi. A la même époque, la Cour des comptes jugeait le secteur « opaque et peu concurrentiel », et l’association de consommateurs UFC-Que choisir dénonçait le tarif « exorbitant » des lunettes en France, source d’un renoncement aux soins conséquent pour les plus modestes. Dans son enquête à charge Rien que pour vos yeux (Anne Carrière, 2013), le polémiste Pascal Perri évoquait carrément un « scandale » et dénonçait une tendance aux « optimisations de factures », les opticiens alignant bien souvent, d’après lui, leur devis, non pas sur les besoins réels du client, mais sur le remboursement maximal proposé par sa complémentaire.

Ces alertes répétées ont incité les pouvoirs publics à légiférer à partir de 2014 (loi Le Roux sur les réseaux de soins) pour tenter d’enrayer la spirale inflationniste de ce marché de plus de 7 milliards d’euros, et permettre à tous les Français de s’équiper en lunettes. Plusieurs dispositions réglementaires ont été prises pour gommer les excès de ce secteur, le rendre plus transparent et faciliter l’accès aux soins. La dépense globale reste néanmoins élevée sur un marché en croissance où les garanties optiques se maintiennent à de bons niveaux, et où le souci esthétique comme la qualité du confort visuel constituent des critères de choix déterminants.

Une paire de lunettes de vue est, de fait, un produit singulier puisqu’elle est à la fois un dispositif médical et un accessoire de mode, dont la prise en charge par l’Assurance-maladie a toujours été marginale. Ce sont les complémentaires santé qui assument l’essentiel du remboursement, devenu pour elles un véritable enjeu commercial. « Pendant des années, pour gagner des parts de marché, sur les contrats collectifs en particulier, c’était à celle qui proposerait les meilleures garanties optiques, commente l’économiste François Lévêque, professeur à Mines ParisTech. Cette compétition a entraîné une fuite en avant sur les prix, et une illusion de gratuité pour les assurés, qui n’hésitaient pas à changer de lunettes tous les ans, puisque c’était permis. »

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