Dans le grand jeu de la finance, le meilleur moyen de faire fortune discrètement est de se placer au centre de flux d’argent très importants et de prélever sa petite dîme au passage. Et, si possible, d’être le moins nombreux possible au carrefour. C’est le cas de Visa, le premier réseau mondial de cartes de crédit. Les transactions par carte ont atteint aux Etats-Unis, en 2023, près de 4 000 milliards de dollars (3 574 milliards d’euros).
Près de 60 % de celles-ci sont passées par les tuyaux de Visa. La firme touche une commission de quelques pourcents, payée par le commerçant qui a réalisé la vente. Au dire des marchands, elle est beaucoup trop élevée, et en augmentation constante.
Le département américain de la justice a entendu la plainte des commerçants, enquêté et annoncé, mardi 24 septembre, le lancement d’une procédure antitrust contre Visa. Elle cible ses comportements depuis 2012, qui ont consisté, pour maintenir sa domination sur le marché, à dissuader les marchands d’aller vers la concurrence, en augmentant les commissions de ceux qui ne choisissaient pas l’exclusivité – mais aussi de payer ses concurrents éventuels pour qu’ils ne viennent pas marcher sur ses plates-bandes. Ainsi, quand sont apparus des nouveaux venus potentiellement dangereux, comme Apple, PayPal ou Square, elle les a convaincus de passer par son réseau en échanges de conditions préférentielles.
Manque à gagner
A l’heure de l’Internet où les paiements en liquide deviennent marginaux, cette question du paiement par carte devient cruciale. « Les pratiques de Visa n’affectent pas le prix d’une seule chose, mais de toutes », assure le procureur général Merrick Garland. Selon le lobby créé pour l’occasion par le monde du commerce, la Merchants Payments Coalition, cela représenterait un manque à gagner annuel de près de 1 100 dollars par famille américaine. Ces commissions constitueraient, selon cette association, le deuxième poste de coût de fonctionnement de ses adhérents après les salaires.
Mais ils ne sont pas les seuls à remettre en question l’hégémonie et les tarifs de Visa. Récemment, les autorités chinoises ont demandé une baisse des commissions, car celles-ci dissuadent les magasins du pays d’offrir ce mode de paiement aux touristes étrangers. En Europe, les fédérations européennes du commerce ont écrit à la direction de la concurrence en juin, pour lui demander de diligenter une enquête. En France, où le Groupement des cartes bancaires CB domine encore 85 % du marché domestique, la pression monte en même temps que les frais s’envolent. Les règles du jeu sont en train de changer pour les rois de la carte.