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« La Banque du Japon est condamnée à acheter une dette dont personne ne veut plus »

Le gouverneur de la Banque du Japon, Kazuo Ueda, lors d’une conférence de presse, à Tokyo, le 19 mars 2024.

Comme une marmotte au printemps, le Japon pointe prudemment son museau hors de terre. Pour la première fois depuis 2016, la Banque du Japon (BOJ) se risque à sortir ses taux du souterrain négatif. Ils passent de – 0,1 % à + 0,1 %. Elle était la dernière grande économie à conserver encore des taux d’intérêt inférieurs à zéro. Car contrairement à ses homologues occidentales, depuis plus de trente ans, son objectif n’est pas de combattre l’inflation, mais de la provoquer, pour stimuler une économie moribonde.

Kazuo Ueda, le président de la BOJ, a également annoncé ce mardi 19 mars que l’institution allait limiter sa pratique de contrôle du rendement des obligations souveraines à dix ans, en les rachetant quand leurs taux dépassaient 1 %.

Deux éléments ont conduit l’institution à modifier sa politique. La première est le retour tant attendu des augmentations de salaires. Toutes les grandes entreprises ont annoncé lors des négociations de printemps des augmentations substantielles, dépassant parfois les 10 %, pour la première fois depuis plus de vingt ans. Ce gain de pouvoir d’achat pour des particuliers, qui ont vu leurs salaires diminuer en termes réels depuis des décennies, pourrait, espère la BOJ, les pousser à retourner dans les magasins. L’autre élément positif est le retour d’une inflation, née dans le sillage du choc mondial de 2022, et qui semble se stabiliser autour de sa cible de 2 %.

La BOJ condamnée à dévaluer

Cela sera-t-il suffisant pour faire redémarrer le Japon, qui a vu son économie passer de la troisième à la quatrième place mondiale, doublée par l’Allemagne du fait de la faiblesse de la monnaie nippone ? Dans une note récente, l’économiste d’Atlantic Financial Group, Bruno Jacquier, redéroule le film des trente dernières années. A la suite de la crise immobilière, à partir de 1992, le Japon enchaîne les plans de relance par l’endettement. Une dette largement souscrite par les particuliers japonais (via les assureurs, banques et fonds). Cette politique s’est poursuivie jusqu’en 2021 avec, pour conséquence, une hausse vertigineuse de la dette, une croissance et une inflation proches de zéro, ainsi qu’une monnaie forte.

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Depuis 2021, les particuliers, de plus en plus âgés, commencent à sortir leur épargne et les investisseurs préfèrent investir à l’étranger à des taux beaucoup plus intéressants. Résultat : la Banque du Japon doit acheter elle-même la dette dont ils ne veulent plus. Aujourd’hui, elle en possède près de 50 % contre 10 % en 2012. Elle baisse les taux, ce qui déprécie le yen. C’est bon pour les grands exportateurs japonais et pour la Bourse, mais cela condamne la banque à imprimer de la monnaie, et donc à la dévaluer, pour acheter la dette de l’Etat, plus de 8 000 milliards d’euros, et la rendre soutenable. Ce qui exclut de facto une trop forte remontée des taux. La timide embellie de ce printemps a peu de chances de sortir le pays de ce piège infernal.

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