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A l’Opéra de Paris, une « Médée » va-t-en-guerre

« Médée », de Marc-Antoine Charpentier, avec Lea Desandre, Reinoud Van Mechelen, à l’Opéra Garnier, à Paris.

En 1984, William Christie réalisait pour Harmonia Mundi la première gravure discographique de Médée, avant de réitérer dix ans plus tard, cette fois pour Erato. Ce n’est donc que justice si l’Opéra de Paris a confié au patron des Arts florissants l’entrée à son répertoire de l’unique opéra de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), plus de trois cents ans après sa création en 1693, à l’Académie royale de musique. La réparation d’un trop long oubli ? Sur le plan musical assurément. Beaucoup moins en ce qui concerne la mise en scène pesamment grand-guignolesque de David McVicar, dont l’esthétique stylistiquement datée a d’abord été présentée à l’English National Opera de Londres, en 2013, puis au Grand Théâtre de Genève, en 2019.

C’est dans les décors élégants, salonnards et feutrés d’une seconde guerre mondiale de comédie musicale que le metteur en scène écossais a transposé la tragédie en cinq actes et prologue de Thomas Corneille (1625-1709), frère de Pierre dit « le Grand Corneille ». D’un côté la Royal Navy et la Royal Air Force, de l’autre les GI américains, au centre une sorte de général de Gaulle pas encore général.

Poursuivis pour meurtres, Médée et Jason ont quitté la Colchide pour trouver asile à la cour de Corinthe du roi Créon. Mais la guerre imminente a décidé celui-ci à exiler la trop clivante magicienne, laissant ainsi le champ libre à Jason pour convoler avec sa fille, la séduisante princesse Créuse, dont le vainqueur de la Toison d’or est tombé amoureux bien qu’elle soit promise au prince d’Argos, Oronte.

Princesse vamp hollywoodienne

L’esprit de Broadway souffle donc sur la scène, qui s’incarne en de longs ballets idoines (un peu ridicules et parfois brouillons dans leur exécution) de danseurs en tenue militaire ou en version maritime, frac de cabaret et paillettes sexy, pour culminer dans la fête offerte par Oronte à sa promise qui voit l’Amour – et ses sempiternelles lunettes noires et canne blanche – débarquer dans un rutilant avion de l’United States Air Force, à l’instar d’une meneuse de revue sur une plage normande. Même la princesse Créuse a tout d’une vamp hollywoodienne à la Jessica Lange dans le remake de King Kong réalisé en 1976 par John Guillermin.

« Médée », de Marc-Antoine Charpentier, avec Lea Desandre, à l’Opéra Garnier, à Paris.

Les choses se corseront heureusement au troisième acte, qui voit Médée passer à l’action et troquer son tailleur noir de grande bourgeoise pour une simple nuisette, pieds nus et cheveux dénoués, sous les traits juvéniles d’une adolescente presque effarée par ses propres pouvoirs, à peine plus âgée que les enfants qu’elle sacrifiera à sa vindicte. Chaises renversées, fumées d’outre-monde, lumières fuligineuses et apparitions infernales, ne reste du décor qu’une immense dévastation.

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